Embrase-moi - Tome 1

Chapitre 9 - Lui

Les poings serrés, je frappe férocement dans le sac devant moi. Je me concentre sur le bruit de mes phalanges qui entrent en contact avec la surface dure. Je ne dois penser qu'à la sensation de douleur qui se répercute dans mon bras. Quand mes émotions deviennent trop fortes, j'ai du mal à garder le contrôle.

Je dois me défouler, pour ne pas laisser la violence me submerger. Je dois cogner pour oublier. Je dois sortir de mon esprit la découverte que j'ai faite hier soir. Les cicatrices sur le poignet d'Athénaïs me reviennent en mémoire. Aussitôt, l'image de Matthieu s'impose dans mon esprit. Mes phalanges s'abattent plus violemment sur la toile qui englobe le sable dur et je retiens une grimace douloureuse. Mes vieux démons me rattrapent, mais je ne dois pas me laisser submerger.

Je ne comprends pas pourquoi je réagis aussi violemment. Cela fait longtemps que je ne me mets plus dans un tel état en voyant des personnes qui ont tenté de se suicider. Heureusement d'ailleurs, sinon j'aurai eu de grandes difficultés pendant certaines interventions. Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi voir ces traces douloureuses sur elle me touche autant ?

Un frisson me parcourt quand je repense à la texture boursouflée qui parcourait sa peau. Son attitude joueuse s'est totalement transformée quand j'ai touché cette zone. Elle a tout de suite essayé de retirer sa main, mais j'ai ancré mes doigts dans sa chair, l'empêchant de s'échapper. J'ai été incapable de détourner le regard. Mon cœur battait si vite et si fort, qu'il résonnait dans tout mon corps. J'ai senti la nervosité d'Athénaïs monter d'un cran. J'ai ressenti la tension qui habitait son être par le biais de ce simple touché. Puis, quand j'ai relevé les yeux pour croiser son regard, mon sang s'est figé.

Jamais la détresse d'une personne ne m'avait à ce point submergée. J'ai vu tant d'émotions se dessiner dans ses prunelles que j'en ai lâché son poignet. Ses sentiments m'ont percuté avec une violence inouïe. C'était à couper le souffle. On m'a toujours dit que les yeux étaient le reflet de l'âme, une fenêtre ouverte sur les sentiments. Je ne l'avais jamais vraiment réalisé jusqu'à croiser le regard d'Athénaïs. Je ne comprends pas mes réactions, et surtout cette pulsion que j'ai eue. La prendre contre moi, la serrer dans mes bras. C'était une envie impétueuse, un besoin primaire. Mon corps voulait bouger, mais mon esprit a lutté. Il a finalement gagné. Je me suis enfuie sans me retourner.

Je n'ai jamais réagi ainsi avec personne.

Je frappe plus fort sur le sac. Je mêle à mes coups tous mes sentiments. Ma rage, mon incompréhension, ma peur. Je sais que je dois protéger mes mains. On m'a appris à ne pas me blesser. La boxe m'a enseignée comment placer mes doigts, comment cogner. On m'a répété maintes fois que je devais me contrôler. Mais quand je suis dans cet état, seule la souffrance physique peut me calmer, m'apaiser. Je dois me faire mal, pour ne pas en faire aux autres.

Sous la violence des chocs, je sens ma peau craquer. Une violente douleur irradie dans ma main, remontant le long de mon bras. Mon cœur est en bout de course, ma respiration est effrénée. J'arrête mon carnage au moment où la bande qui recouvre mes phalanges se couvre de sang. Mon souffle est court et mon palpitant bat la chamade. Ses pulsations se répercutent dans l'intégralité de mon être. J'ai mal, vraiment. Au cœur, au corps, à l'âme.

Je n'ai trouvé aucune réponse, mais au moins mon accès de violence s'est calmé. Je ne redeviendrais pas celui que j'ai été après Matthieu. Il n'aurait pas aimé que je sois cet homme. Tournant le dos au sac, j'enlève délicatement la fine protection et observe les dégâts.

— Je savais que je te trouverais ici.

La voix d'Eliott me fait sursauter. Je pivote vers lui. Il m'observe quelques secondes avant de venir prendre mes mains dans les siennes. Il secoue la tête en allant s'assoir sur un banc. Ses yeux me scrutent avec angoisse. Il s'inquiète pour moi, je le sais. Il a peur de ce dont je suis capable aussi.