Chapitre 25 - Lui

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Je m'éveille difficilement en entendant mon portable vibrer près de moi. Mes paupières me semblent faites de plombs, ma bouche est desséchée. Je suis complétement dans les vapes, ensuqué comme dirait mon cousin du sud. Ma sieste n'a absolument pas été reposante, hantée par les images qui se sont imprimées sur mes rétines. Un désagréable frisson me parcourt quand je repense à cette intervention qui nous a tenu éveillé et en alerte de nombreuses heures. Pourtant, la garde avait commencé plutôt calmement, probablement trop même. Les pompiers expérimentés s'accordent pour le dire, quand une nuit commence trop paisiblement, souvent, ça annonce une fin plus que mouvementée. Pour nous, ça n'a pas loupé.

Vers trois heures, l'alarme s'est déclenchée. Comme toujours, nous nous sommes préparés en quelques secondes avant d'embarquer dans le camion. C'est à ce moment-là, qu'un mauvais pressentiment m'a pris aux tripes. Parfois, notre cœur se serre et notre corps se tend. On ne sait pourquoi ni comment, mais on sait que quelque chose va se passer. Souvent, ce n'est pas une sensation positive. C'est exactement ce qui m'est arrivé alors que j'observais les rues citadines par la fenêtre. En nous conduisant sur les lieux de l'intervention, Luc nous a informé qu'il y avait eu un très grave accident de voitures sur le périphérique. Après cette annonce, j'ai croisé le regard de Thomas. J'ai su qu'il ressentait la même chose que moi. C'est avec angoisse que nous avons parcouru les derniers mètres. Quand le véhicule s'est arrêté et que mes coéquipiers sont descendus, j'ai fermé les paupières quelques secondes, inspirant fortement. Une fois sûr de moi, je suis sorti à mon tour. Malheureusement, rien ne pouvait me préparer à ce que j'allais voir.

En mettant pied à terre, je suis resté figé. La catastrophe qui s'étendait devant moi m'a coupé la respiration. Malgré mon expérience, certes jeune par rapport à d'autres, je n'avais jamais vu un accident d'une telle ampleur. Alors qu'une intense agitation me vrillait les tympans, j'ai essayé d'analyser la situation. Face à moi, un camion était renversé. Il gisait, couché sur le côté. Une voiture était complétement encastrée dans les éléments du moteur, visibles à cause de la position du semi. Devant le mastodonte, deux voitures étaient renversées, dont une dans le ravin attenant à la route. Une moto était couchée près de la voiture retournée. Sur la gauche, trois voitures étaient enfoncées les unes dans les autres. Quant à nos pieds, ils pataugeaient dans une tonne de tomates qui étaient éparpillées sur le sol. Probablement la cargaison du camion. Au milieu de tout ça les policiers, ambulanciers et pompiers, se précipitaient pour aider.

Au bruit des sirènes, s'ajoutait celui des cris. Des hurlements de terreur ou de douleur. Des sanglots, des gémissements. Ils perçaient dans le silence de la nuit. Les visages des victimes et des témoins étaient hagards. Ils regardaient parfois dans le vide, ne réalisant pas la situation. Au loin, une femme, les mains dans les cheveux, semblait au bord de l'hystérie. J'entendais son rire nerveux se répercuter. Il a empli le vide, alors que son mes yeux, le corps d'un homme fut recouvert d'un drap blanc.

Cette vision, apocalyptique, m'a clairement fait penser à un épisode de Grey's anatomy. Celui de l'accident de ferry. Oui, c'était exactement ça. En regardant autour de moi, je me sentais perdu. Complétement dépassé par la situation. Mes oreilles se sont mises à bourdonner, j'ai eu l'impression que tout tournait. Tout allait trop vite. J'étais dépassé.

— Max, il faut qu'on y aille.

Luc s'est placé devant moi, son regard plongé dans le mien. Il a posé sa main sur mon épaule, la pressant doucement. Ce geste m'a rassuré immédiatement, remit les idées en place. J'ai acquiescé rapidement et redressé le sac placé sur mon dos. J'ai suivi le quadragénaire qui se dirigeait vers une des voitures.

Je ne sais même pas comment s'est passé le reste de l'intervention. J'ai l'impression que tout s'est déroulé alors que j'étais dans du coton. Mes gestes, mes paroles, étaient automatiques. Comme si mon cerveau s'était déconnecté. Pour me préserver, probablement. M'éviter de trop cogiter. Malheureusement, c'était raté parce qu'à peine ma tête posée sur l'oreiller en rentrant à l'appartement, ma mémoire m'a envoyé des tas d'images de notre victime. Quand on l'a déposé à l'hôpital, son état était stable, mais préoccupant. Je prie tous les Dieux possibles pour que cette jeune fille s'en sorte.

Embrase-moi - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant