Chapitre 46 : when the night falls

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A la nuit tombée, une ombre se profila à l'horizon. Une silhouette féminine marchait doucement. Tel une litanie, des paroles inaudibles jaillissaient de ses lèvres. Ses cheveux d'un noir de jais flottaient sous l'effet de la légère brise qui balayait le champ. Ce champ. Le bruit de cette brise effleurant les herbes hautes qui pliaient sous son pouvoir, le son des pas de ce fantôme, cette survivante, étouffés par la litière végétale et ses paroles scandées brisaient le silence crépusculaire.

Son chant semblait de plus en plus fort au fur et à mesure qu'elle s'approchait. Derrière elle, à la suite de son passage, la nature semblait dépérir et l'air glacial se raréfiait. Presque comme si elle aspirait toute l'énergie environnante.

Ce champ serait à jamais marqué par un caractère macabre. Tous les corps avaient été transportés dans l'enceinte du bâtiment surplombant l'aire à présent déserte tandis que les sbires ennemis s'étaient contentés de retourner à l'état de poussière duquel ils avaient été arrachés lors de leur transformation. Tous avaient disparus. Tous sauf un.

À mesure qu'elle s'approchait, sa litanie devenait de plus en plus forte, presque assourdissante face à l'âme du lieu. Elle arriva finalement au but, face au cadavre pulvérisé. Il avait échoué, mais elle, elle réussirait. Au-delà de la mort, son frère lui serait quand même un allié précieux.

Elle s'agenouilla à sa gauche et posa sa main droite sur son cœur immobile. Elle arrêta un instant son chant, comme pour lui rendre un dernier hommage. Ses pieds frôlaient le corps inerte. Cela ne semblait pas la déranger.

Elle prit une grande inspiration puis elle planta ses doigts écartés dans le sol ainsi que dans le torse du défunt, formant une sorte de réseau ; elle entama alors une kyrielle débitée comme un cri sortant de ses entrailles. C'était peut-être le cas. Ce qui, quelques instants auparavant, étaient inintelligibles, le devint, similaire et à la fois différent. « Matira pharkanuhōs, jīvana dinuhōs juna tapā'īnlā'ī balidānakō rūpamā di'i'ēkō thiyō, matira pharkanuhōs ra badalā linuhōs. Ma timīlā'ī ājñā dinchu, punarūt'thānamā ā'ū ra tī mānisaharūlā'ī naṣṭa pār jasalē tapā'īnlā'ī naṣṭa garē. »

Bien que rarement utilisé, c'était un sort connu de tous. Les paroles exactes avaient toujours été tenues secrètes mais l'intitulé aurait été reconnu par le moins expérimenté des sorciers. Aucun sorcier ne pouvait et ne devait l'utiliser. Seuls les damnés pouvaient bénéficier de cette malédiction. La vie par-delà la mort.

La nécromancienne commença alors à trembler violemment, de même que sa voix. Un violent éclat vert explosa dans le ciel, comme un éclair. Alors, seulement elle se tut. Pendant une seconde, le silence fut fracassant. Une légère larme coula sur sa joue. Elle avait réussi. Elle se pencha doucement et embrassa délicatement le front de son petit frère. Celui qu'elle aurait suivi jusque dans la mort sans sa promesse. Malheureusement, la vie est ainsi faite et elle lui avait survécu. Mais elle avait réussi, elle avait tenu sa promesse et maintenant elle allait le venger.

« Adieu », murmura-t-elle contre son front.

Elle resta une seconde dans cette position avant de se détacher de lui. L'instant d'après, il disparut, désagrégé. Ce qui composa les restes de son corps une seconde plus tôt fut transporté au loin par la brise.

Elle se releva fièrement, son moment de faiblesse étant passé. Une étrange lueur brillait dans ses yeux. Une lueur qui ne laissait rien présager de bon. Un corbeau qui volait non loin arriva près d'elle et se percha sur son épaule. Elle tourna la tête vers lui et le regarda satisfaite avant de lui gratter doucement la gorge, ce qui le fit croasser de contentement.

Elle se mit ensuite face à l'édifice les surplombant.

« Tu sais ce qu'il te reste à faire Hel, chuchota-t-elle d'une voix doucereusement, le corbeau aillant un léger mouvement d'ailes à l'énonciation de son nom. Vole et trouve-la moi ».

Aussitôt l'ordre formulé, l'oiseau prit son envol.

Sa maîtresse le regarda disparaître dans la nuit, puis repartit tranquillement dans la direction par où elle était arrivée.

« Fais bien attention ma chère nièce, Borée* n'est plus là pour te protéger ».

*Borée est la personnification du vent du nord chez les grecs. Dieu populaire à Athènes, ses habitants lui attribuent la sauvegarde de la cité face à la flotte de Xerxès, lors de la deuxième guerre médique.


Chapitre très court, je le sais, mais la suite arrive bientôt !  En attendant, 

XOXO


Entre feu et glaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant