Acte II - Scène 1 :Tomber pour mieux se relever

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Morgan avait beau être habitué aux tâches ménagères, sa tenue réglementaire l'handicapait terriblement. Il perdait régulièrement l'équilibre, manquant de renverser les vases qu'il époussetait ou les plateaux qu'il portait. Cependant, Il avait de la chance, le marquis n'était pas toujours sur son dos, apparemment trop occupé au dernier étage. Il y avait beaucoup à faire dans le manoir, il avait été laissé bien trop longtemps à l'abandon. Le ménage avançait lentement. Morgan procédait méthodiquement, pièce par pièce, en commençant par les plus utiles. Il y avait beaucoup de bazar et parfois même des débris qui venaient d'il ne savait trop où. Il fit le vide dans une pièce et commença à entasser des caisses de choses et d'autres, qu'il trierait et rangerait plus tard.

Le travail en lui-même n'était pas si difficile. Il avait déjà fait un déménagement semblable lorsqu'il s'était installé avec sa fiancée. Mais ils avaient beaucoup moins d'affaires. Et surtout, il n'avait pas trébuché sur la moindre latte gondolée ou le moindre clou ressortant du plancher. Ses talons étaient un véritable calvaire. Ils se cognaient à chaque marche dans l'escalier menant à sa chambre et aussi quand il sortait brièvement prendre l'air à la porte d'entrée. Il n'y avait que peu de marches mais c'était suffisant pour qu'il finisse par se tordre la cheville. Mi-sautillant, mi-boitillant, Morgan retourna dans la cuisine et se posa quelques instants pour s'assurer que son pied n'enfle pas. Alors qu'il avait ôté chaussure et bas, le maître de maison entra dans la pièce.

Le Margrave de Hlodwig remarqua la rougeur sur l'articulation du jeune homme. Il s'attarda davantage, laissant glisser ses yeux sur la fine jambe nue de son domestique, jusqu'à ses jupons. Morgan s'excusa d'avoir arrêté momentanément son travail et s'apprêtait à remettre son bas quand le marquis posa une main sur son épaule. Il observa son pied et passa ses doigts dessus, appuyant légèrement. Morgan grimaça sous cette légère pression. L'homme lui interdit de bouger et sortit quelques minutes pour revenir avec un baume et un bandage. Il fit asseoir Morgan sur le bord de la table et, tirant une chaise, il s'installa à côté de lui et posa l'élégante jambe sur ses genoux. Le marquis appliqua la crème avec soin et délicatesse, massant tendrement la cheville du jeune homme. Morgan était comme fasciné, hypnotisé par la scène. Tout cela lui paraissait complètement irréel. La main douce et ferme de son maître caressa doucement sa jambe, remontant un peu plus haut que nécessaire, ses doigts frôlant la première jupe de sa tenue.

Morgan sentit le feu monter à ses joues. Mais qu'est-ce qu'il se passait, bon sang ? Il toussa, espérant que l'autre n'aille pas plus loin et ses mains se crispèrent sur la table. Il avait rarement était aussi tendu, il savait plutôt bien maîtriser ses émotions d'habitude. Le marquis releva un instant la tête vers lui, arrêtant du même coup son mouvement. Il retira sa main et passa le bandage autour du pied du jeune homme. Il serra bien et épingla le bout pour s'assurer qu'il ne tombe pas.

– Vous pouvez prendre des chaussures dans mon placard personnel, elles sont plus grandes. Mais c'est exceptionnel, dès que votre cheville sera guérie, vous remettrez votre tenue complète. Et évitez de faire trop d'efforts quelques temps, ça ne ferait que rallonger votre temps de guérison.

Morgan resta assis sur la table quelques minutes après que le maître des lieux soit reparti. Il retira la seconde chaussure puis descendit doucement. Son pied bandé lui semblait plus léger et il ne ressentit presque aucune douleur en marchant prudemment jusqu'au placard de l'entrée. C'était là que des souliers supplémentaires étaient parfaitement rangés. Il prit une paire de grosses bottines qu'il passa, en prenant soin à ne pas relever la bande qui couvrait son pied endolori. Il retourna lentement à son travail, évitant de trop appuyer sur son pied. Même si l'idée de garder les pieds à plat le plus longtemps possible était très tentante.

Quelques jours passèrent ainsi au ralenti. Les deux hommes se voyaient plus fréquemment, le marquis était désireux de vérifier que son domestique guérisse le plus rapidement possible. Cependant, les provisions diminuaient plus vite qu'il ne l'aurait cru. Il souhaitait envoyer Morgan pour faire de nouvelles réserves avant la pleine lune qui approchait mais il s'inquiétait que son état ne puisse pas lui permettre. Il finit donc par le mettre au repos forcé, lui interdisant de bouger. Il fit même la cuisine pour eux deux tandis que Morgan le regardait faire. Ce dernier ignorait jusqu'alors quel bon cuisinier le margrave était et il fut grandement surpris de la qualité du plat.

– C'est vraiment exquis, monsieur ! Je ne savais pas que vous aviez un tel talent.

– Que cela ne devienne pas une habitude. Vous ferez plus attention où vous mettez les pieds, à l'avenir. Je n'ai pas envie d'avoir à passer mon temps à vous surveiller, je n'ai pas que ça à faire.

Il grogna et reprit les assiettes vides pour les laver lui-même. Il n'y avait pas à dire, ces derniers temps, Morgan assistait vraiment à des scènes surréalistes. Il se demandait même parfois s'il n'était pas en train de rêver ou de délirer et se disait que, peut-être,sa chute dans les escaliers du perron avait été plus violente. Qui aurait cru que ce marquis si grognon cuisinait si bien ? Et le voir, les manches de sa chemise relevées, frotter assiettes et couverts, c'était extraordinaire. Morgan évitait de repenser à la caresse sur sa jambe, mais étrangement, cette sensation de chaleur lui revenait sans cesse... Son maître avait été si doux... Il secoua la tête, cherchant à chasser des idées inhabituelles, pour lui, qui lui venait. Il ferma les yeux et pensa très fort à Lucinda, sa chevelure soyeuse, son sourire, ses courbes, ses seins si doux et fermes...

La Bonne et le Mâle [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant