Acte I - Scène 2 : La décision du marquis

84 11 1
                                    

Dans la bâtisse bringuebalant sous le vent d'une tempête déchaînée, un hurlement se fit entendre. Il résonna longtemps, comme s'il cherchait à faire fuir l'orage. Le vent redescendit peu à peu, retrouvant son calme. La pluie tombait toujours frénétiquement sur les carreaux sales du manoir, faisant sonner leur mélodie joyeusement. Quelques éclairs continuaient de strier le ciel obscur par moment, ils devenaient cependant plus rares et plus lointains. Leur cri était bref et de moins en moins perceptible. Bien que dehors, le temps semblait redevenir plus doux, il n'en était rien derrière les murs de pierres solides et pourtant si usés frappés par l'averse.

Comme un ouragan, le maître de maison ouvrit la porte de la petite cuisine en l'arrachant de ses gonds et cracha un nouveau juron. Ce n'était pas par sa force qu'il avait démonté cette porte, ou pas seulement. Bien sûr, sa violence en était en partie responsable, mais les murs effrités et les chevilles rouillées n'avaient pas aidé non plus au bon maintien du lieu. Il s'empressa d'ouvrir les placards à la recherche de contenants nouveaux. Il semblait avoir déjà tout utilisé. Après de longues minutes de recherche exaspérée, l'homme parvint à dénicher un pot en terre. Il n'était pas bien grand mais avait l'avantage de ne pas être percé. Cela devrait suffire pour le moment. Il n'avait pas tellement le choix, après tout.

Il se rua dans les escaliers étroits aux marches érodées. Il faillit se tordre la cheville à plusieurs reprises avant d'atteindre le dernier étage. Il passa rapidement à travers l'ouverture d'une porte restée ouverte. Dans la pièce peu éclairée étaient éparpillés de nombreux récipients. Le plafond était bas et laissait apercevoir çà et là de légères fissures d'où tombaient des gouttes d'eau de manière régulière. Le dos voûté, l'homme posa le pot salvateur à un énième emplacement avant de soupirer longuement.

Décidément, il devenait plus qu'évident qu'à la prochaine tempête, il ne serait plus si chanceux. Il n'avait jamais aimé les travaux manuels et même s'il devait se résoudre à user ses mains en réparation, cela lui prendrait beaucoup de temps. Énormément de temps. La saison des vraies tempêtes approchait à une vitesse folle. Il ne pouvait pas se permettre de garder le toit dans un état pareil. Il était bien capable de faire quelque chose mais ça impliquait de laisser de côté les autres activités. Dont certaines étaient primordiales à sa survie, comme faire la cuisine. Il détestait ça. Il avait toujours trouvé que ce n'était qu'une perte de temps. Mais il fallait bien manger. Et puis bon, la cuisine, c'était un truc de femme !

Tout en vidant les différentes casseroles, verres et aux vases, il réfléchit à sa situation. Elle était mauvaise. Désastreuse, même. Selon ce qu'il avait entendu dans cette région, certaines saisons étaient si terribles que les gens devaient rester enfermés chez eux en attendant que l'orage se passe. Et cela pouvait durer des jours entiers. La pluie s'arrêta enfin, ce qui lui laissa un peu de temps pour souffler. L'eau tombait toujours à travers les tuiles arrachées. Il allait devoir prendre une décision. Il oublia un instant le plafond si proche et se redressa, se cognant la tête. Il grommela en sortant de la pièce et rejoignit son bureau à l'étage inférieur en se tenant la tête.

C'était un homme grand et large. Sa chemise aux manches relevées laissait apparaître les muscles saillants de ses bras qui ruisselaient de fines gouttes de pluie qu'il n'avait pu éviter lors de ses innombrables transvasements. Sa mâchoire carrée était couvertes en grande partie par une barbe négligée. Son visage était dur et son regard, froid. Des yeux vifs étaient enfoncés sur sa face et remuaient en envoyant des éclairs à tous les portraits du couloir. Ses ancêtres accrochés là n'avaient pas eu le courage de défendre leur propre patrimoine et ça le faisait vomir. Il se promit de les arracher et de les brûler dès le prochain hiver, il avait toujours su économiser ses ressources. Il n'en avait pas seulement après sa propre famille, l'intégralité de l'espèce humaine le répugnait. Les hommes étaient écoeurants, les femmes n'étaient guère mieux. Elles étaient même sûrement pires, avec leur air à la fois aguicheur et Sainte-Nitouche.

Il hocha la tête, oui, c'était sûrement elles qu'il détestait par dessus-tout. Mais sa demeure avait bien besoin de la présence d'une femme. Une femme de ménage, plus précisément. Il prit de quoi écrire et rédigea son annonce. Lui, le grand Margrave de Hlodwig, était réduit à faire appel à des services extérieurs. Impensable. Il secoua la tête, dépité. Un recrutement pour bonne à tout faire... Il nota scrupuleusement chaque compétence requise. Il relu plusieurs fois sa missive afin d'en être entièrement satisfait. Il paierait un bon prix, il devait trouver quelqu'un au plus vite et il savait que la forêt et lui-même n'avaient guère bonne réputation.

Il faisait sombre quand il sortit mais l'atmosphère étrange qui régnait ne l'inquiétait pas. Il s'était rapidement habitué aux lieux à son arrivée sur ces terres ancestrales. Il enfonça sa capuche sur sa tête et jeta un dernier regard vers le ciel. Il renifla. Humide, très humide. La pluie risquait de tomber encore, il ne devrait pas traîner longtemps dehors. D'un pas décidé, il entreprit de traverser la forêt jusqu'aux portes de la cité. Il avait senti quelques gouttes tomber par moment mais elles étaient peut-être dûes au vent souffla dans les hautes branches qui secouait les feuilles gorgées d'eau. Il frappa à la loge du gardien des portes en grognant. Un homme presque chauve, au visage rond et aux yeux ensommeillés ouvrit la petite trappe. Avant même qu'il n'eut le temps d'ouvrir la bouche, le marquis lui tendit son enveloppe et repartit vers la forêt. Il détestait vraiment parler aux gens, ce serait déjà assez pénible durant les entretiens pour qu'il s'ajoute la conversation avec un vieux gardien endormi.

La Bonne et le Mâle [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant