Acte IV - Scène 1 : La princesse prisonnière

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Quand Morgan se réveilla, il faisait nuit. Une ombre gigantesque se tenait près de lui dans la pénombre. Il tenta de se redresser, en vain. Une douleur l'assaillit tout le long de son corps. Une lumière faible s'alluma et il reconnut le marquis. Son visage sévère était profondément marqué par la fatigue. Le jeune homme ne savait pas s'il devait être rassuré ou inquiet de sa présence. Il l'avait vu se transformer devant lui après que l'homme l'ait sauvé. Était-il dangereux ? Il n'aurait jamais dû découvrir ce secret. Andréa soupira. Il avait l'air soulagé.

– Vous vous réveillez enfin... J'ai bien cru que mes compétences en médecine avaient été insuffisantes, cette fois...

– Je... J'ai dormi longtemps ?

– Toute une journée. J'en suis venu à me demander comment vous pouviez réussir à faire votre travail si vous aimiez tant dormir... Bon, il va falloir qu'on discute, mais avant, mangez un peu.

Le Margrave lui tendit un plateau de nourriture que Morgan engloutit rapidement sous l'oeil attentif de son maître. Il s'essuya et s'efforça de rester dans une position assez confortable sur son lit. Il essaya de paraître confiant, serein, mais il n'était lui-même pas convaincu de sa prestation.

– Vous deviez avoir très faim... Peu importe, vous savez ce que je suis maintenant. Vous m'avez vu.

– Je... En effet, je vous ai vu... Vous transformer... Alors, vous êtes un lycanthrope...

– Et vous comprendrez que je n'ai pas envie que le secret s'ébruite, n'est-ce pas ?

– ... Que comptez-vous faire de moi ? Me tuer après m'avoir sauver la vie ?

– Ce serait ridicule, vous ne pensez pas ? Tant que je ne suis pas sûr que vous ne le répéterez à personne, vous resterez ici.

– Si je comprends bien, je suis votre... Prisonnier ? Je suis déjà mal en point, comment je pourrais m'enfuir ? Sans oublier que je n'ai aucun intérêt à dévoiler votre nature à qui que ce soit !

– Vous ne sortirez plus de votre chambre jusqu'à nouvel ordre. Et je vous déconseille fortement de passer par la fenêtre. Il y a encore beaucoup de ronces juste en dessous...

Sans attendre de réponse, le marquis quitta la pièce et ferma la porte à clé. Morgan se frotta les yeux qui étaient encore ensommeillés et souffla. Il n'avait nulle part où aller, il avait cherché refuge et il était maintenant prisonnier... Il se dit que ça aurait pu être pire et qu'il aurait pu être mort. Il n'avait même pas réussi à remercier son sauveur-geôlier et se sentait encore épuisé et courbaturé. Il ferma ses lourdes paupières un moment et s'endormit l'instant d'après.

Dehors, le Margrave de Hlodwig rôdait. Il veillait à ce qu'il n'ait pas de visiteurs inopportuns. En même temps, il cherchait la trace de son ennemi. Il l'avait bien amoché mais cela n'était sûrement pas suffisant pour l'avoir fait partir pour de bon. Il finit par flairer une piste qu'il remonta. Après de longues minutes de marche, il trouva un refuge naturel déjà déserté. Les traces au sol lui indiquèrent que le loup gris était reparti vers la ville après être redevenu homme. En voyant les tâches de sang séché, il imagina sans peine qu'il ne reviendrait pas avant quelques jours. Ça lui laisserait un moment de répit où il pourrait s'occuper de son protégé. Peut-être finirait-il même par réussir à se détacher de lui.

Toujours couché, Morgan ouvrit grand les yeux. Au-dessus de lui se tenait l'immense loup gris, la gueule grande ouverte. Le souffle chaud et désagréable de la bête glissait sur son visage. Le jeune homme était incapable de se mouvoir et la panique serrait ses entrailles. L'angoisse gagna sa gorge nouée et soudain, son hurlement déchira l'obscurité. Le marquis se précipita dans sa chambre et découvrit Morgan haletant qui s'éveillait avec difficulté. Andréa s'assit près de lui et posa sa main douce et chaude sur le front du jeune homme encore paniqué. Sa fièvre était remontée à travers son cauchemar. Le contact affectueux du Margrave apaisa le blessé. Il resta au bord du lit jusqu'à ce que son domestique se rendorme. Il le regarda d'un air protecteur quelques temps encore avant de décider de s'en aller.

Il sentait au fond de lui qu'il avait de plus en plus de mal à s'éloigner du jeune homme. Il voulait le garder auprès de lui, pour toujours... L'enfermer contre son gré avait été une décision stupide, il imaginait mal Morgan raconter à qui que ce soit ce qu'il savait sur le marquis. Et puis, tout le monde le craignait déjà, même si les gens croyaient à ces histoires, ça ne ferait que renforcer leur conviction. Ainsi que la sienne. Il était un monstre, il le savait. Mais pour sa bonne, il aurait bien voulu changer. Il rejeta cette idée d'un geste las. Mais elle ne disparut pas entièrement, elle se cacha discrètement dans un recoin sombre de son esprit. Cette idée attendrait le bon moment pour résonner en lui à nouveau. Et quand cela arriverait, il n'aurait plus que deux choix possibles, l'un comme l'autre scellant son destin. Soit il l'accepterait, soit il la rejetterait et avec elle, tous les espoirs de réconciliation avec le reste du monde.

Dans l'aube naissante qui filtrait à travers les carreaux de la bibliothèque, le marquis continuait d'écrire ses mémoires. Il écrivait lentement, toujours préoccupé par le prisonnier à l'étage. Il avait pensé, quand celui-ci s'était enfin réveillé, qu'il allait mieux, mais ça n'était pas le cas. Et il risquait de faire encore de nombreuses crises qui pourraient retarder sa guérison. Il secoua la tête. Peu importait le temps que ça prendrait, il s'occuperait de lui quoi qu'il arrive. Mais s'il était au coeur de ces angoisses nocturnes ? Peut-être serait-il plus sage de le ramener en ville, auprès des siens... Et auprès de cette femme... Andréa ne l'avait jamais rencontrée, mais il détestait Lucinda. Pure jalousie de sa part, bien sûr. Il le savait et ne parvenait pas pour autant à s'en empêcher. Elle était peut-être assez bien pour Morgan, s'il était heureux auprès d'elle, non ? Il n'avait pas le droit d'aller à l'encontre de son bonheur.

La Bonne et le Mâle [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant