Quelques mois plus tard, Morgan et Andréa s'étaient installés dans une modeste maison de plain-pied. Ils avaient changé de continent en rejoignant un port par-delà les plaines qui leur avaient semblé infinies. Personne ne les connaissait et le marquis en profita pour taire son titre de noble déchu et devenir simplement Monsieur Hlodwig. Les deux hommes formaient un couple heureux qui rendait parfois jaloux certains de leur nouveaux voisins et amis.
Un jour, pourtant, leur joyeux ménage aurait pu prendre fin. Ils se tenaient, nus, dans les bras l'un de l'autre. Morgan mordillait gentiment le cou d'Andréa qui répliqua en le pinçant son téton. Ils se chamaillaient régulièrement au lit que ce soit avant ou après leurs ébats. Parfois même pendant. Le soir tombait doucement et l'ancien marquis ne tarda plus à succomber à l'appel de la pleine lune. Il céda à cette transformation forcée et resta allongé près de son amant qui caressait amoureusement l'énorme bête.
– Andréa... Tu pourrais le faire, pour moi ? On pourrait sortir ensemble, ces nuits-là et courir à travers les champs. Ce serait bien, non ?
En guise de réponse, il n'eut qu'un grognement sourd. Andréa savait très bien ce que Morgan lui demandait mais il se refusait sans cesse à lui imposer une vie pareille. Mais encore et toujours, le jeune homme insistait, espérant le faire craquer. Ce cher monsieur Hlodwig était têtu, et décida alors de quitter la couche pour s'éloigner des prières de son amant tout aussi têtu. Mais celui-ci ne le lâcha pas et le suivit, toujours nu comme un ver. Il n'en démorderait pas, il se ferait mordre ce soir, ainsi l'avait-il décidé. Ils avaient la chance de vivre suffisamment éloignés de leurs plus proches voisins pour pouvoir sortir la nuit sans être vus ni dérangés. Une fois dehors, ils marchèrent longuement côte à côte, l'homme sur ses deux jambes, le loup sur ses quatre pattes. Morgan restait silencieux puis Andréa finit par s'arrêter et se tourna vers lui. Morgan s'accroupit auprès de lui et embrassa son museau humide. Une preuve de plus qu'il était déterminé.
Le loup géant souffla et secoua la tête. Soit, ce ne serait pas si mal, après tout, d'être ensemble ainsi, pour le meilleur et pour le pire. Il lécha Morgan de son épaisse langue et celui-ci sourit en tombant à la renverse. Andréa approcha ses crocs de la gorge de son amour et mordit délicatement la chair de l'homme qui s'offrait à lui. Le naturiste tressaillit et sentit le poison imprégner ses veines. Il aurait à attendre un mois dans une douleur certaine et persistante mais cela valait le coup. Il passa les bras autour du cou de la bête et l'enlaça de ses forces qu'il sentait faiblir. La chaleur de la douce fourrure de son ami était très agréable sur sa peau nue et il s'endormit à la belle étoile.
À la pleine lune suivante, les deux loups s'élancèrent joyeusement à travers les champs. Morgan avait beaucoup à apprendre de ce nouveau corps mais il savait qu'il pouvait compter sur Andréa. Sur le haut d'une colline, ils hurlèrent ensemble à la lune, tradition typique du peuple des loups. Le loup noir, les yeux brillants de malice, mordit l'oreille du nouveau brun et le fit facilement basculer sur le flanc. Morgan ne tenait pas bien sur ses quatre pattes toutes neuves. Ils se battirent en dévalant la pente l'un sur l'autre dans l'herbe fraîche. Haletants, ils marquaient leur affection réciproque à grands coups de langue. Leur nouvelle vie s'annonçait avec la nouvelle aube qui se levait à l'horizon.
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Seth s'était retiré dans les montagnes du Nord et faisait des luttes amicales avec les ours géants. Il était parvenu à retrouver une certaine sérénité dans la nature sauvage et appliquait, avec des années de retard, ce que son éducation dans sa campagne natale lui avait appris. La nature devait rester là où elle était afin de s'accroître, de se développer et de perdurer. Seth vivait à nouveau au gré du temps et malgré les vents glacials et capricieux descendants du pic, il continuait inlassablement à se plier aux règles de son nouvel habitat.
Lucinda et Aymeric ne cessaient de se disputer à propos de ménage et de cuisine et finirent par se séparer, l'homme préférant continuer de papillonner de fleur en fleur. Il déchanta bien vite quand arriva le jour où toutes les filles de la région le connaissaient et ne s'intéressaient plus à lui.
Le vieux jardinier vécut à l'auberge d'Inès jusqu'à la fin de sa vie qui dura étonnamment longtemps. L'imposante aubergiste parvint à mettre de côté suffisamment d'argent afin d'envoyer sa fille rêveuse dans une école d'art de la grande ville. Bella se métamorphosa en une belle jeune femme accomplie, quoique toujours un peu étourdie.
Quant à Gontran, il hérita de la boucherie familiale et fit prospérer ses affaires, grâce à sa force mais aussi à sa dévotion. Son excellente réputation sortit rapidement des murs de la cité pour arriver aux oreilles de mangeurs de viande à travers tout le pays. Ces dévoreurs venaient parfois de très loin pour déguster de délicieuses grillades.
Les conditions de vie en ville changèrent pour le mieux et Loiziduc retrouva une certaine splendeur et notoriété durant quelques temps. Certaines rumeurs théorisaient qu'il s'agissait là d'un cadeau de la forêt depuis qu'elle s'était refermée sur elle-même et que personne ne la dérangeait ni ne l'habitait plus.
----- Épilogue -----
C'est ainsi que se termine cette lutte acharnée entre le Bien et le Mal. Quand les deux partis s'unissent, ne formant plus qu'une entité. Quand la Bonne et le Mâle s'accordent avec harmonie, partageant une même destinée.
Nul n'est entièrement Bon, nul n'est entièrement Mauvais. C'est à chacun d'apprivoiser sa part d'Ombre et sa part de Lumière dans un combat interne que jamais personne ne gagne totalement. L'intérieur et l'extérieur n'ont jamais été aussi proches.
Le Juge, du Nord est venu, au Nord est reparti. Chacun redécouvre sa place attribuée dans l'univers. Place que l'on oublie bien souvent mais que l'on finit toujours par retrouver.
Chaque être est maître de son destin. Chaque être est libre de ses choix.
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Andréa est Morgan de lui.
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La Bonne et le Mâle [Terminée]
مستذئبLe Margrave de Hlodwig, déchu et chassé de ses terres, réside dans la dernière demeure dont il a pu hériter. Le manoir délabré où il vit se situe au milieu de la Forêt du Monstre, dans ses sous-bois fort peu accueillants. Misanthrope renfrogné, il d...