Acte IV - Scène 3 : Le chevalier solitaire

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Andréa de Hlodwig avait toujours eu le sommeil léger. Ses dernières nuits avaient été encore plus courtes qu'à son habitude. Il se réveillait au moindre son qui lui semblait résonner à travers tout le manoir. La demeure était vieille, ces craquements étaient monnaie courante, mais il ne pouvait pas s'empêcher de penser qu'un intrus pénétrait les lieux. Il se leva et fit le tour du propriétaire pour s'assurer qu'il s'agissait bien d'une fausse alerte. Toute sa méfiance l'épuisait inutilement. Il retourna s'allonger, espérant avoir suffisamment de repos quand viendrait le moment de l'affrontement. Il savait que cela finirait par arriver.

Dehors, un calme inhabituel régnait. La tension que ressentait le marquis était palpable. L'atmosphère, lourde, s'étendait sur l'ensemble de la forêt. Les oiseaux s'étaient tus, les rampants s'étaient glissés dans les recoins sombres, toutes les créatures s'étaient repliées au creux de leur abri. Quelquefois, un gémissement se faisait entendre, une faible plainte d'un animal effrayé. Ils tremblaient, frissonnaient, au même rythme que les arbres alentours. Tout ce qui était vivant dans ces bois étaient profondément unis. Tout était lié par un même destin et, quel qu'il soit, ils en avaient peur.

D'épaisses bottes de cuir noir pénétrèrent les sous-bois. Les pas lourds semblaient faire frémir la terre elle-même. L'inconnu piétinait feuilles et branches qui jonchaient le sol avec désinvolture. Il n'avait que faire d'être remarqué et les craquements du bois brisé résonnait avec force dans ce silence. Un rampant, peut-être trop curieux ou complètement inconscient, glissa entre les fourrés. Un bref éclair tinta et la bête ensanglantée gisait l'instant suivant. La silhouette étrangère, immense, remit sa lame scintillante dans son fourreau en maugréant. Il repoussa du pied l'animal inerte et continua sa progression. On lui avait parlé de ce sentier mais il était si mal entretenu qu'il le distinguait à peine. Il commença à penser que les habitants de cette ville nauséabonde s'étaient moqués de lui. Enfin, avec son allure de géant, il y avait peu de chance qu'il ait été mené en bateau. Ces instincts de chasseur l'aideraient à sortir de cette forêt, au besoin. Puis il saurait retrouver ses indics très facilement pour les faire payer... Un sourire monstrueux dévoila ses dents blanches parfaitement bien alignées à la délicieuse pensée d'éventuelles tortures à venir.

Plus il avançait vers le coeur de la forêt, plus les troncs semblaient se rapprocher. Les arbres semblaient s'être courbé pour lui bloquer le passage. L'homme, s'il en était bien un, sortit une machette de sous sa cape de fourrure afin de trancher les branches qui s'opposaient à sa progression. La fourrure qu'il portait avait appartenu autrefois à un ours. Un géant des montagnes, à qui il avait fait la peau, quasiment à mains nues. Il avait dépecé la bête, tanné le cuir et cousu la cape lui-même et en était très fier. Sa venue sur ces terres pouvait lui rapporter deux nouvelles fourrures à sa collection, s'il se débrouillait bien. Dans le pire des cas, il aurait débarrassé le monde de deux épouvantables monstres.

Le Chevalier Solitaire, comme il se faisait appeler, déboucha finalement sur une clairière. Enfin, ce qui devait se rapprocher le plus d'une clairière. La Forêt du Monstre, fébrile de ce nouvel arrivant, avait voilé le ciel de ses plus hautes branches. Et le ciel lui-même s'était assombri, s'accordant une fois de plus à l'humeur forestière. Un éclair furtif et étrangement silencieux déchira l'obscurité naissante et illumina la pâle façade du manoir. Il était arrivé au bon endroit, comme prévu. Il aimait bien quand tout se dérouler comme il le souhaitait. Il enfonça la porte d'entrée d'un revers de sa botte et s'invita dans la demeure.

Dans le hall, il sortit délicatement son épée comme s'il eut peur de la briser entre ses mains épaisses. Son adversaire ne tarda pas à se montrer, arme au poing lui aussi. Les doigts du marquis étaient crispés sur la poignée. Bien qu'il manquait de sommeil, son regard était déterminé. Le vent s'était tu à nouveau et le temps s'était arrêté. Les petits yeux bleus et vifs enfoncés sur le visage de Seth scrutaient chaques détails sur ou autour de son vis-à-vis qui pouvaient lui être utiles. Le couloir lui semblait étroit du fait de ses larges épaules. D'un mouvement de torsion, il rejeta sa cape au sol, derrière lui, avant de se ruer sur le Margrave déchu. Ce dernier para aisément les premiers coups puis recula d'un bond. Il espérait que le Chevalier se fatigue plus vite que lui, ou qu'ils puissent ouvrir le dialogue. Mais apparemment, le ténébreux Solitaire n'avait qu'une envie : tuer.

Des coups plus violents commencèrent alors à s'enchaîner entre les deux hommes jusqu'à ce que Seth s'écarte momentanément. Il voyait bien que l'ancien combattant était usé. Andréa n'avait plus sorti sa lame depuis tellement longtemps. De rage, il se jeta bêtement sur son ennemi qui avait feint d'avoir baisser sa garde. Un rictus cruel déforma son visage balafré. Au dernier moment, il comprit le stratagème et s'esquiva de côté. Mais l'épée du chasseur passa sur son flanc et trancha sa peau nettement. Le maître des lieux posa sa main sur la plaie alors que le sang commençait déjà à s'en échapper. Il voyait qu'il n'avait aucune chance. Même s'il se rendait, le géant l'abattrait, comme il le faisait avec toutes ses proies. Il se débattit quelques brèves minutes supplémentaires. Il parvint à blesser la main porteuse de lame mais cela ne suffit pas à arrêter son bourreau. Au contraire, il enragea soudainement et brisa la seule défense qu'il restait au marquis. La pointe de son épée unique, tranchée nette, tomba sur le carrelage avec fracas tandis que la poignée et le reste glissa des mains du Margrave de Hlodwig. Très vite, celui-ci tomba aussi à genoux, alors que le monstre qui lui faisait face s'apprêtait à accomplir une énième vengeance futile. Les pensées d'Andréa allèrent à Morgan. Pourvu qu'il ne lui arrive rien de mal.

La Bonne et le Mâle [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant