Acte I - Scène 7 : La nouvelle bonne

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Au petit matin, Morgan avait déjà les yeux grands ouverts dans le lit de sa promise. Les bras derrière la tête, il souriait. Son nouveau travail allait bientôt commencer et même si le marquis de Hlodwig n'était pas très agréable, il n'aurait, normalement, pas à trop le côtoyer. La tête de sa blonde endormie était posée sur son torse nu -et vierge de toute pilosité. Le coq se mit à chanter et réveilla Lucinda, qui se redressa en étouffant un grognement. Elle détestait cet oiseau de malheur qui l'empêchait chaque jour de dormir autant qu'elle l'aurait voulu. Puis elle se rappela qu'elle venait de passer une dernière nuit avec son amant qu'elle n'aurait plus avant longtemps. Elle fit une moue boudeuse en voyant le sourire de Morgan. Il n'y avait bien que lui pour être content, ce matin-là. Ils n'allaient plus pouvoir se voir avant un moment et ça n'avait pas l'air de l'affecter plus que ça.

Morgan se dressa sur un coude et déposa un baiser sur les lèvres de sa bien aimée. Elle lui sourit tristement, elle n'arrivait pas à lui en vouloir. Il se leva pour se préparer et prit son sac avant de lui faire un dernier au revoir. Lucinda n'avait pas le courage de sortir si tôt alors elle s'enroula dans la grande couette et se rendormit quelques minutes après son départ. Morgan traversa tranquillement Loiziduc, il était d'humeur joyeuse et lançait des bonjours à tous ceux qu'il croisait jusqu'aux portes de la cité. Après ça, il ne croisa plus personne mais ça ne l'empêcha pas davantage de continuer à sourire. C'était une belle journée.

La forêt était verdoyante et semblait s'illuminer quand il la longea jusqu'au sentier. Traversant les branchages et buissons, il se surprit à penser que la célèbre Forêt du Monstre, n'était finalement pas si effrayante. Il avait l'impression que les arbres s'écartaient sur son passage pour lui faciliter l'accès au manoir. Quand il arriva finalement à la clairière, il s'étonna de la lumière ambiante. D'accord, la demeure était en piteux état comme elle l'était la veille mais elle semblait désormais ornée d'une sorte de grâce mystique. Elle était curieusement attirante. Morgan rejoignit la porte, presque en sautillant gaiement et avant même qu'il ne toquât, le maître de maison lui ouvrit avec un grand sourire dévoilant presque toutes ses dents.

Le jeune homme eut un léger mouvement de recul, il n'aurait jamais imaginé qu'une homme aussi austère puisse sourire. Et en même temps, il y avait quelque chose de dérangeant dans ce sourire, peut-être ses dents qui ressemblaient plus à des crocs qu'à une dentition ordinaire ? Le marquis cessa de sourire et l'invita à entrer. Il le conduisit jusqu'à sa nouvelle chambre et lui indiqua sa tenue de travail. En s'approcha des vêtements, Morgan eut une vision d'horreur. C'était une blague ?! Il se retourna vers la porte avant que l'autre ne sorte.

– Vous êtes sérieux ?! Je ne vais pas porter cette tenue, je suis sûr qu'elle ne m'ira même pas. Et ces chaussures, vous croyez vraiment que je vais mettre ça ?!

– C'est très sérieux. Vous aviez été prévenu. Maintenant enfilez ça, je sais que c'est à votre taille, même moi je rentre dedans. Pour ce qui est des chaussures, vous n'aurez qu'à vous entraîner.

Le Margrave de Hlodwig sortit en fermant la porte, il semblait qu'un sourire amusé s'était glissé sur ses lèvres. Morgan était abasourdi. Ce type était complètement dingue. Il avait dit que c'était un travail de femme, d'accord. Mais cette tenue... C'était vraiment une tenue pour femme ! Ce fou furieux voulait le travestir. Morgan commençait à se demander s'il ne ferait pas mieux de tout abandonner et de s'enfuir. Il resta planté un moment en tenant la robe et son tablier dans les mains. Il dansait d'un pied sur l'autre, ne sachant même pas comment il pourrait "enfiler" ça. Il se décida finalement. Après tout, il ne devrait porter cette tenue qu'ici, dans le manoir. Personne ne venait jamais dans le coin, personne ne le verrait jamais, personne ne le saurait jamais...

Morgan se déshabilla rapidement et passa la tenue. Le marquis n'avait pas menti, la robe lui seyait parfaitement, c'en était même effrayant. Il enfila les bas et mis plusieurs minutes à les attacher. Il se demanda comment certaines femmes avaient la patience de faire ça tous les jours. Ces pinces étaient une vraie galère à faire tenir en place. En plus, il devait les ajuster pour ne pas être gêné dans ses mouvements. Il se tordit dans tous les sens pour s'assurer de pouvoir faire son travail convenablement avec une tenue aussi ridicule. Puis, son regard s'arrêta sur les chaussures. Des talons hauts. Elles ne semblaient pas très grande alors il pria intérieurement de ne pas réussir à le mettre. Assis sur le rebord du lit, il prit la première qui glissa parfaitement sur son pied malgré l'épaisseur supplémentaire du collant. Et mince, le margrave avait donc tout prévu. Il passa la seconde et ferma les boucles.

Le temps était venu de faire ses premiers pas. À cette pensée, il s'imagina être un enfant jouant à se déguiser en adulte... En femme adulte, plus précisément... Il se leva doucement et chercha son équilibre avant de mettre un pied devant l'autre. Il perdit l'équilibre plusieurs fois mais parvint à se rattraper sur les meubles de la chambre. Une fois le problème d'équilibre à peu près résolu, il lui fallait cesser de trébucher. Que ce soit sur une irrégularité du sol ou sur ses propres pieds, Morgan avait du mal à se faire à ses nouvelles chaussures. Heureusement tout de même qu'elles étaient souples et pas si désagréables à porter, sinon il risquait de finir avec d'énormes ampoules bien avant la fin de la journée. Finalement, il sortit de sa nouvelle chambre et descendit les escaliers en s'agrippant à la rampe branlante. Il rejoignit le salon où l'attendait son sociopathe de patron.

– Eh bien, vous en avez mis du temps. J'ai bien cru que vous n'y arriveriez jamais. Maintenant que vous êtes là, la liste de vos tâches pour la journée est sur la table basse. Mais avant, j'aimerais m'assurer que vous soyez bien habillé.

Le Margrave de Hlodwig le tira vers le centre de la pièce, lui faisant perdre l'équilibre un moment. Morgan resta immobile pour s'assurer de ne pas tomber tandis que le barbu lui tournait autour. C'était très dérangeant. Il avait l'impression d'être une bête de foire. Ou bien un morceau de chair fraîche et tendre face à un carnivore affamé. Morgan était sincèrement mal à l'aise et alors qu'il était sur le point de tout abandonner, le maître de maison arrêta son inspection et le mit au travail avant de quitter la pièce pour vaquer à ses activités quelconques.

La Bonne et le Mâle [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant