Acte III - Scène 6 : Une séparation

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Le soleil était encore haut dans le ciel quand Morgan quitta le manoir. Un vent froid soufflait dans les branches, faisant danser les arbres. La lumière filtrée, verte, tombait doucement sur lui. Le temps semblait agréable mais l'air fraîchissait rapidement, annonçant de mauvais présages. Le jeune homme frémit. Il songea que la forêt réagissait au moindre changement d'humeur du marquis. Mais ce ne devait qu'être une coïncidence. Il se hâta de sortir des bois, le ciel commençait déjà à s'assombrir. Il s'étonna que le temps fluctue si souvent mais ne s'attarda pas sur la question. Arrivant entre les pierres des maisons abandonnées à l'extérieur de la cité, il se surprit à respirer calmement. Il semblait enfin avoir à nouveau les idées claires, comme le ciel au dessus de sa tête. Il jeta un oeil en arrière et remarqua un fait des plus étranges. Une menace ténébreuse planait sur la forêt du Monstre. Mais ces sombres nuages disparaissaient dans l'azur recouvrant la ville. Comment la vision d'une tempête pouvait être aussi ciblée ? Ce ne devait être qu'une simple coïncidence. Qui restait toutefois inexplicable. D'un pas assuré, Morgan s'avança vers les portes encore grandes ouvertes.

Loiziduc, toujours aussi grise et triste, lui paraissait pourtant bien plus chaleureuse que le manoir qu'il venait de quitter. Il se sentait las et exténué mais heureux. Il s'apprêtait à retrouver sa douce Lucinda, après tout. Il rejoignit la rue du bar d'Écailles et monta directement à l'appartement. Comme il s'y attendait, sa blonde était absente. Il déposa alors ses affaires ainsi que le précieux gâteau avant d'écrire un mot puis de sortir à nouveau. Il déambulait tranquillement dans les rues de la ville. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pu profiter pleinement de l'air chargé et acide de la cité, ni des rues englouties par les passants. Les pavés enfoncés et défoncés des allées rendait la promenade tout aussi désagréable que les bousculades des jeunes qui couraient d'un côté à l'autre du passage, ayant pour seul but de se divertir un tant soit peu.

Au bar cramoisi, les habitués continuaient inlassablement de se disputer pour savoir lequel d'entre eux avait raison sur tel ou tel sujet aussi futile qu'inutile. En passant devant, Morgan ne put s'empêcher de sourire. Décidément, ces vieillards étaient toujours bien assez en forme pour discuter aussi bruyamment. Il marcha longuement et passa devant l'auberge où l'épaisse Inès le reconnut et le héla bien qu'il ne fut qu'à quelques mètres et que les bruits du centre-ville s'estompaient dans ce quartier.

– Hé, là ! Le jeune ! Vous bossez t'jours pour le marquis, hein ? J'ai r'çu une lettre pour lui, vous pourrez lui porter ?

– Heu, oui oui, bien sûr. Enfin, je suis en congé, mais je vais la prendre, je lui apporterai demain.

– BELLA ! Espèce de bonne à rien ! Ramène-moi l'mot pour le Margrave ! Oh faut l'excuser, hein... J'pense qu'elle a pas toute sa tête, ma môme. Elle est un peu lente des fois, vous voyez l'genre ?

Morgan acquiesça brièvement pensant qu'il ne valait mieux pas discuter avec elle puis la jeune Bella arriva avec la fameuse enveloppe. Il la prit en les remerciant et s'en alla rapidement. Il lui avait semblé reconnaître le vieux jardinier dans un coin et le souvenir qu'il en avait été suffisamment déplaisant pour qu'il ne s'attarde pas davantage. Il retourna dans la rue principale quand une main ferme attrapa son épaule. Paniqué, il se retourna vivement. Il se trouvait face au comte Ignace et son sourire maléfique.

– Dites-moi, jeune homme, ne nous serions-nous pas déjà croisés, par hasard ?

– N-non monsieur, jamais. Désolé, vous devez m'avoir pris pour quelqu'un d'autre...

Le brun déglutit avec difficulté. Le regard perçant de l'homme aux cheveux d'argent semblaient le reconnaître. Finalement, l'étreinte se relâcha et le comte s'excusa pour sa méprise. Morgan retourna à l'appartement, espérant n'avoir pas trop à attendre Lucinda. Il ne se sentait pas serein et avait l'impression que l'homme l'observait toujours.

Dans le petit appartement, Lucinda l'attendait avec une mine terrible. Elle lui jeta un tas de linge à la figure et le jeune homme mis un certain temps à comprendre ce qu'il tenait dans les mains. Sa tenue de travail.

– J'attends des explications, Morgan... Le gâteau que j'adore, je comprends, mais ça, vraiment ? Tu rêves pour que je porte ce genre de tenue ! C'est inadmissible ! Et en plus, ce n'est même pas ma taille ! Qu'est-ce que ça signifie, Morgan ?!

– Ce n'est pas ce que tu crois !

– Ah oui, vrai ? C'est ce que tous les hommes disent quand ils trompent leur fiancée !! J'en ai entendu des tas d'histoires, auprès de mes amies, des tas !! Et c'est toujours ce qu'on croit !

– Je te jure qu'il n'y a personne d'autre que toi ! Cette tenue, c'est... C'est...

Il se mordit la lèvre, s'il lui révélait ce secret honteux, ne serait-ce pas pire ? Sa gorge se noua, soudainement assécher, il n'osait pas avouer que c'était son uniforme réglementaire et qu'il le portait pour le marquis. C'était trop fou, de toute façon.

– Et dans ce cas, mon cher Morgan, qu'est-ce que c'est ? Ce n'est pas toi qui porte ça, quand même ?

Elle s'approcha de lui d'un air défiant. Le regard fuyant et la gêne apparente du beau brun trahissaient ses pensées. Bien sûr que c'était lui qui portait cette robe à volant et ces bas moulants ! Lucinda comprit et son visage se décomposa. Imaginer que son fiancé se travestisse, quelle qu'en soit la raison, la dégoutait profondément. Elle attrapa les affaires de l'homme qu'elle pensait avoir aimé et lui mit dans les bras.

– Sors de chez moi. Je ne veux plus te voir, je ne supporterai plus de te voir. Et rends-moi la clé.

D'un geste mécanique, Morgan tendit la main qui tenait encore la clé de l'appartement. Son ex-fiancée lui prit d'un geste et lui ouvrit grand la porte sur le couloir. Lentement, il quitta ce qui avait été chez lui, le regard vide. Il n'arrivait pas à réaliser ce qui venait de se passer. Une fois dehors, un vent glacial souffla sur son visage et l'éveilla de ce cauchemar. Où pouvait-il aller à une heure pareille ?

La Bonne et le Mâle [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant