Morgan était retourné au manoir peu après avoir appris que le Chevalier Solitaire était encore en ville. Il chercha le marquis dans tous les recoins de la demeure en vain. Essoufflé d'avoir monté et descendu les marches en oubliant de respirer, il s'arrêta un instant dans sa chambre. La lumière extérieure cherchait à s'inviter dans la pièce et le rideau rouge semblait brûler d'un halo éclatant. Morgan tira sur le tissu et fut instantanément ébloui par la clarté du jour. Il n'avait même pas remarqué que le ciel était si bleu quand il était dans la cité. Le temps était radieux et la chaleur du soleil caressait avec douceur sa peau pâle. Remarquant du mouvement au bas de sa vision, il descendit son regard et s'étonna de l'état du jardin. Celui-ci auparavant sauvage et envahi par d'innombrables ronciers était devenu splendide. Le marquis avait accompli un travail remarquable à l'aide de ses cisailles et de sa machette.
L'herbe verte coupée ras était parsemée de minuscules fleurs blanches. Les allées étaient parfaitement dégagées et il était désormais aisé de circuler à travers le jardin. Des buissons touffus offraient refuge à de petits oiseaux chanteurs et les arbres fruitiers portaient leurs branches basses, alourdis par leur propre descendance. En si peu de temps, l'extérieur était devenu méconnaissable. Ce n'était pas seulement l'acharnement d'Andréa qui avait permis un résultat pareil. En vérité, la forêt entière semblait avoir fait peau neuve. Et se faisant, son sol strié de magie ancienne avait grandement aidé à la disparition de certaines plantes vénéneuses. Le marquis s'était aménagé un banc de fortune taillé dans un tronc épais et lisait tranquillement sous le soleil brûlant. Morgan l'aperçut de sa fenêtre et s'en alla le rejoindre.
– Andréa, j'ai été en ville... J'ai entendu parler du chasseur...
Le Margrave reposa son livre et invita le jeune homme à faire un tour tout en discutant. L'ancien domestique lui conta ce qu'il savait sur le Solitaire et l'interrogea sur le comte. Andréa lui apprit qu'il s'était occupé d'Ignace et l'avait laissé dans son logement décrépi. Il avait camouflé le loup gris dans un drap et le gardien l'avait laissé passer sans se poser de question. Personne ne questionnait le terrible marquis, c'était bien connu. Morgan le regarda avec un sourire. Cet homme terrible n'avait plus rien d'effrayant à ses yeux. Il était même plutôt séduisant. Sa mâchoire carrée était visible à travers sa barbe proprement rasée. Il avait toujours une étincelle dans son regard jaune-vert qui semblait avoir vu plus de choses qu'une vie d'homme n'aurait pu le supporter. Inconsciemment, il s'était arrêté pour mieux le contempler alors que l'homme parlait encore. Andréa se tut, remarquant le regard posé sur sa personne. Il glissa sa main sous le menton de Morgan et l'embrassa tendrement. Les mains du plus jeune vinrent enserrer la taille du marquis, collant les deux corps l'un à l'autre. Ils sentaient grandir en eux un désir réciproque d'appartenance.
Le temps s'était suspendu autour d'eux. Les arbres de la forêt eux-mêmes se penchaient pour mieux les observer. Ils étiraient leurs hautes branches à travers le ciel afin de les protéger. Le bois semblait s'être replié sur lui-même en une sphère verte protectrice. Rien ne viendrait troubler la paix qui régnait alors. Doucement, des petits museaux curieux vinrent renifler à l'air libre. Ils sentaient que celui-ci était imprégné d'une source nouvelle de chaleur. Il y avait dans l'atmosphère des senteurs inconnues jusqu'alors. Dans le vent frais, une vibration vint effleurer les deux hommes au milieu du jardin et continua sa route un peu plus loin. Une fontaine de pierre, longtemps couvertes par le lierre, avait repris vie en même temps que le reste du jardin et de l'eau douce coulait, jaillissant des mains de deux chérubins volants. La fine cascade venait troubler continuellement l'eau claire du bassin. Ce liquide, pur, descendait de la montagne par-delà les profondeurs de la forêt.
L'étreinte s'acheva en silence et la nature chanta à nouveau. Tous les êtres semblaient avoir retenu leur souffle en même temps que celui des amants. Andréa regarda avec intensité les yeux vert-gris de son vis-à-vis. Il lui semblait pouvoir se perdre dans ces teintes changeantes sous le moindre effet de lumière. Morgan se sentait bien. Sa main au creux de celle du marquis déchu, il en avait même oublié le danger potentiel que représentait Seth. Il sentait que quelle que soit la difficulté à venir, ils sauraient la surmonter ensemble. Peu à peu dans son esprit s'installait une idée nouvelle, une envie de goûter au fruit défendu. Il n'avait jamais ressenti ça pour un homme avant. Andréa avait chamboulé toutes ses certitudes. Ce désir l'effrayait et l'excitait terriblement à la fois. Il n'en était que plus troublé par la présence de cet homme si charismatique. Ce dernier remarqua une certaine gêne tandis que, fébrile, la main de Morgan glissait lentement mais sûrement hors de la sienne. Il la retint de peur qu'il s'enfuit. Il saurait attendre, pour lui. Il l'enlaça tendrement et l'embrassa sur la tempe, respirant l'agréable odeur de ses cheveux longs.
– Je sais que tu as peur... J'ai envie de toi depuis si longtemps, Morgan... J'attendrais que tu sois prêt, que tu sois sûr. Est-ce que tu en as envie, toi aussi ?
– Je... Je n'ai jamais...
– Je t'apprendrai...
Le marquis sourit et prit le visage de Morgan entre ses mains avant de l'embrasser à nouveau. Ils entrelacèrent leurs doigts et se promenèrent tranquillement dans le jardin. Rien ne vint troubler la quiétude de cette journée qui avait pourtant commencé angoissante.
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La Bonne et le Mâle [Terminée]
WerewolfLe Margrave de Hlodwig, déchu et chassé de ses terres, réside dans la dernière demeure dont il a pu hériter. Le manoir délabré où il vit se situe au milieu de la Forêt du Monstre, dans ses sous-bois fort peu accueillants. Misanthrope renfrogné, il d...