Avoir l'impression de mourir. C'est probablement ce que l'on ressent quand il ne reste plus que notre corps, et nos larmes. Quand notre âme est si déchirée qu'elle en devient inhumaine. Quand plus rien autour ne compte, simplement notre foutue tristesse. Quand les seules choses que l'on peut désormais entendre sont les remords. Vivre sans vivre, c'est un peu ça, l'impression de mourir. Voir son corps coincé dans la toile géante de la vie, tandis que notre âme est déjà partie rejoindre la mort.
Je sentais autour de moi les corps de ceux de ma classe, m'encercler. Malgré le mot "perdre" qui continuait inlassablement de résonner dans mon esprit, j'ai levé les yeux du sol qui était désormais empli de larmes et j'ai regardé toutes les personnes m'entourant. Elles me regardaient étrangement, je sentais de la pitié dans certains regards. Ils ne comprenaient pas, ils ne comprendront jamais. Personne ne peut comprendre. Ils feront comme tous les autres, ils me prendront pour une folle. Ils trouveront un prétexte, une excuse, pour me prouver que j'ai tord que je mens, que maman est toujours là, qu'elle n'a jamais disparu...
Mon regard s'est tourné d'élèves à élèves, tentant de deviner ce que chacun pensait. D'abord vers un groupe de filles, une s'appelait Nora, l'autre Sarah, et je crois que la dernière s'appelait Louise. Elles me fixaient, un sourire moqueur au lèvres. Dans toutes les personnes de la classe, elles étaient celles à qui je parlais le moins. C'était un peu la bande d'hypocrites, autant au sein de leur groupe qu'en dehors.
Puis j'ai vu Basil et Hugo, ils me regardaient étrangement, ils ne comprenaient pas. J'ai ensuite vu Nolan, il me regardait de façon étonnante, je ne saurais pas même la décrire. Il y avait de l'incompréhension dans son regard, comme dans ceux de tous les autres, mais aussi de la pitié. Il y avait aussi quelque chose sur lequel je ne peux pas mettre de mots, une intensité dont je n'avais pas le nom, un sentiment de compassion...
J'ai à nouveau baissé les yeux, et tout a semblé s'arrêter. Je pouvais entendre le brouhaha autour de moi, les questions que certains s'échangeaient entre eux. J'ai cessé de pleurer, laissant tomber la dernière larme sur mon tee-shirt. Je suis revenu à la réalité, en une fraction de secondes, tandis qu'une minute auparavant, j'étais totalement déconnectée du monde extérieure, dans ma bulle, perdue.
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Madame Desgarde est arrivée accompagnée d'une femme brune, que j'ai deviné être l'infirmière. Elle a demandé à quelques élèves de s'écarter avant de s'accroupir rapidement et de me demander :
- Eli, comment ça va ?
- Je vais bien, c'était juste une petite crise d'angoisse.
Elle paraissait inquiète. Elle a finalement repris :
- Tu es sûre ? Tu ne sembles pas vraiment aller bien...
- Je vous l'assure. Je vais mieux, j'ai juste besoin d'un peu de repos je pense.
- Bien. Bon (elle s'est tournée vers le reste de la classe), retournez dans la salle. Je vais accompagner Eli à l'infirmerie.
Je suis restée trente longues minutes à l'infirmerie. Au bout de tout ce temps, une autre femme est rentrée dans la pièce. Elle s'est approchée de moi, puis elle a souri. Elle avait l'air gentille, et bienveillante. Elle a commencé à parler :
- Bonjour Eli. Je suis la conseillère du lycée, Madame Pontelieu. Tu ne m'as probablement jamais vu, étant donné l'immensité de celui-ci.
Elle a souri exactement de la même façon qu'avant, d'un sourire bienveillant. Effectivement, je ne l'avais jamais vue, ni même croisé. Elle a continué:
- Je voudrai parler un peu avec toi, si ça ne te pose pas de problème.
- Non, bien sur.
J'ai commencé à me lever de mon lit, mais elle m'a arrêté net :
- Non non, ne te lève pas. Ca ne prendra que quelques minutes. Et il faut que tu te reposes.
Je me suis rassise sur mon lit.
- Bon, déjà pour commencer, est ce que tu pourrais m'expliquer ce qu'il s'est passé.
J'ai directement répondu :
- Rien, juste une petite crise de panique.
- Es-tu sûre ?
- Oui, ne vous en faites pas.
Elle semblait perplexe.
- Tu sais que si tu as un problème, je suis là pour t'écouter. C'est mon métier, après tout.
J'ai hoché la tête, en signe de remerciement. Elle m'a tendu un petit papier, avant de dire :
- C'est le numéro de mon bureau, si tu as besoin, n'hésite surtout pas.
J'ai souri :
- Merci.
Elle est repartie.
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J'ai passé le reste de ma journée à l'infirmerie, avant de rentrer chez moi, en vélo. A la sortie du lycée, j'ai croisé quelques personnes de ma classe. Ils m'ont regardé étrangement. J'ai pris mon vélo, avant de partir en direction de la maison.
Je n'avais pas de nouvelle piste en vue, ne serait-ce qu'un signe. J'étais fatiguée, fatiguée de tout. Fatiguée de rien. Je n'en pouvais plus, les jours passaient, sans nouvelles, sans rien. J'étais épuisée de cette routine qui commençait peu à peu à s'installer. Foutue routine.
En rentrant à la maison, la seule et unique chose que j'ai faite fut de m'allonger dans mon lit, en fixant le plafond. Regard vide, pensées ailleurs, tout ce qu'il restait de moi à ce moment n'était plus rien que mon corps. J'étais la fleur qui se fane en hiver, après avoir vécu les beaux jours. Je voulais courir, partir loin d'ici, où personne ne me retrouverait jamais, sur une île, admirant le couché de soleil sur la plage, regardant les vagues s'écraser sur le sable. Oublier tout, oublier qu'un jour j'ai vécu en Angleterre, avec mes deux parents, que j'ai déménagé à Paris, juste avec ma mère. Oublier qu'elle a disparu. Oublier tout le monde. Oublier tout le reste. Tout ce que je voulais était d'être sur une stupide île, tout en pensant être seule au monde. Me lever le matin sur le sable chaud, en me demandant ce que j'allais faire du reste de ma journée. Dormir, vieillir, mourir ici. C'était ce que je voulais. Oublier qu'un jour, Eli Toberson a habité au 3 rue des roseaux, à Paris. Oublier que j'avais une vie avant d'être sur cette île.
C'est étrange. Je voulais être seule alors que j'y étais déjà.
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ALONE
General FictionIl y a maintenant six ans, Eli habitait 6 Baden-Powell Street dans un petit quartier de Londres, avec sa mère et son père qui s'aimaient plus que tout au monde. Mais, comme la vie ne fait souvent pas de cadeaux, ce dernier est décédé, alors qu'elle...