Chapitre 18

38 5 11
                                    

Lucia coinçait ses mèches pourpres dans la casquette tout en gardant un œil sur les rétroviseurs. Calée au fond de son siège, cachée derrière ses lunettes de soleil et les vitres teintées de la voiture, elle ne pouvait réprimer des frissons à chaque fois qu'un passant marchait trop près de la Ford.

Stationné sur le trottoir, à une centaine de mètres de la banque, le véhicule noir absorbait les derniers rayons du jour, et Lucia, à l'intérieur, commençait à manquer d'air à mesure que le cuir chauffait. Cependant, elle ne devait pas retirer le sweat qui cachait les sigils dessinés sur son avant-bras. Sa seule solution était d'ouvrir la fermeture à glissière de son sweat et de descendre un peu la vitre pour faire passer l'air. Mais ce n'était pas une brise fraîche qui caressait ses joues, à la place, c'était le vent chaud d'Arizona qui l'enveloppait dans une torpeur assommante. Ses yeux roulèrent sur la clé restée sur le contact et ses doigts l'effleurèrent. Ce n'était pas si grave si elle allumait le moteur et mettait la climatisation le temps qu'Alec revienne, si ? Pourtant, elle hésitait.

Outre la chaleur dans l'habitacle, la douleur dans son ventre ne cessait de la harceler, allant et venant comme un bélier contre une porte. Lucia avait serré les dents et avait mis son calvaire en sourdine ; la chute avait ravivé le feu de sa douleur, mais, à présent seule dans la voiture, elle sentait sa volonté se fissurer contre les assauts impitoyables et répétés du bélier, et la brûlure se propager dans son abdomen. Les regrets s'accumulaient aux portes de sa conscience mais, elle les ignora. Elle ne pouvait plus reculer, il fallait aller jusqu'au bout désormais.

Un bruit sourd la tira de sa réflexion, et, le souffle court, Lucia leva les yeux sur le pare-brise. La fourrure blanche du chat renvoyait un éclat de soleil dans ses yeux et l'éblouit un court instant. Un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres et, tandis qu'elle reprenait son souffle, le félin la fixait sans ciller, assis sur le capot, à travers la vitre teintée. Ses yeux bleus pâles lui semblèrent familiers. Il sauta sur le trottoir et fouettait l'air de sa queue comme une invitation à le suivre.

— Qu'est-ce que tu fais là, toi ?

Pour toute réponse, le chat ouvrit la gueule, mimant un miaulement inaudible et posa les pattes sur la portière. Sa queue battait l'air et devant l'insistance du félin, Lucia capitula et sortit de la voiture avec prudence. Elle ne connaissait pas deux chats blancs comme lui, aussi têtu et étrange.

La bête se frotta contre ses jambes tandis qu'elle baissait la visière de sa casquette pour cacher son visage.

— Tu vas me faire repérer, tu sais ?

Lucia s'accroupit pour le caresser, mais l'animal se faufila hors de sa portée, à la manière d'une anguille qui se joue du pêcheur. Il miaula de nouveau, le regard plongé dans le sien et s'assit face à elle, quelques mètres plus loin.

Derrière ses lunettes, Lucia fronçait les sourcils, incrédule devant l'attitude désinvolte typique de l'espèce féline.

— Tu veux quoi, petit chat ?

Consciente d'avoir l'air totalement stupide de parler à un animal, Lucia jeta un regard circulaire autour d'elle et remarqua que la rue s'était dépeuplée. Un frisson d'angoisse la parcourut et tordait son estomac. Elle eut toute les difficultés du monde à se redresser sans prendre appui sur la voiture et lorsqu'elle leva les yeux, elle croisa le regard noir d'Alec qui fonçait vers elle.

— Je t'avais dit de m'attendre dans la voiture.

Arrivé à sa hauteur, la dominant d'une tête, la large carrure de ses épaules lui barrait la vue et Lucia se sentit toute petite face à lui. Alec repositionna la casquette et fit rentrer les mèches qui dépassaient à l'intérieur, un air inquiet crispant les traits de son visage.

Brasier - La ProieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant