Chapitre 12

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Les lumières étaient une bouée de sauvetage lancée dans l'océan d'horreur dans lequel elle avait été jetée. Le souffle court, la respiration saccadée, l'impression de se noyer, les yeux secs, les jambes tremblantes et faibles, Lucia faisait tout son possible pour retenir la panique qui menaçait de la submerger. Ses mains frottaient frénétiquement ses bras, contenant son angoisse et sa terreur pour les empêcher de sortir et d'éclater. Repliée sur elle-même sur le canapé en tissu gris du salon, une couverture posée sur elle, la jeune femme fixait le sol, le regard vide, perdue dans la boucle infernale de son esprit qui rejouait la scène.

L'oeil.

Les pattes.

Les fantômes.

Le sang.

Elle avait pleuré, crié, hurlé et supplié que tout ceci ne fut qu'un rêve, mais la voix du démon résonnait dans sa tête. Son rire emplissait ses oreilles et son rictus voilait sa vision. Le cauchemar empiétait sur la réalité et la fiction avait désormais un goût âpre.

Du bout des doigts, Lucia vint toucher la marque bleue sur sa gorge et le visage hideux du fantôme de forma dans son esprit. Ça aussi, c'était réel.

La réalité telle qu'elle la concevait venait de se déchirer sous ses yeux et de prendre la forme horrible d'un visage démoniaque. Lucia perdait pied comme le monde qui l'entourent se mit à chavirer et la sensation de chute la fit tressaillir.

Sa respiration s'accéléra à nouveau et son cœur manqua un battement. Impossible. Elle ne pouvait pas y croire. Non. Pourtant, preuve était faite que les fantômes étaient réels. Sans parler du démon qui avait pris possession de Mina.

Toutes les histoires qu'elle avait lues sur les mythes et les légendes étaient-elles réelles aussi dans ce cas ?

Elle aurait tout donné pour être dans son appartement et pouvoir mettre la main sur son Dictionnaire Infernal et son Lemegeton. Lucia fit appel à sa mémoire, faisant défiler les noms de démons qu'elle avait bien pu retenir lorsqu'elle lisait ces œuvres, mais elle était bien loin de s'imaginer alors qu'elle en aurait besoin aujourd'hui. Son esprit, vif et exacerbé par la dose d'adrénaline qu'elle avait reçue, assurait à lui seul le maintien de ses fonctions primaires, empêchant son corps de s'effondrer sous la fatigue.

À côté d'elle, le docteur avait posé une grande boîte en inox sur la table basse et l'ouvrit d'un geste brusque qui fit la fit sursauter. Ses yeux restaient insondables. D'un noir profond, Lucia ne distinguait pas la pupille de l'iris et ces deux perles noires comme des abysses se posèrent sur elle. Il s'essuya le front, repoussant ses cheveux du même noir intense. La mâchoire crispée, il s'excusa et prit une longue inspiration en fermant les yeux.

Lui aussi était très perturbé, et sans savoir pourquoi, Lucia se sentit rassurée : elle n'avait pas rêvé. Une contradiction soudaine déchira son cœur. Elle était soulagée de ne pas être seule et pourtant elle était profondément désolée de l'avoir entraîné dans cette galère. Lui en tiendrait-il rigueur ? Elle redoutait que le docteur ne révise son opinion sur elle et Lucia se préparait mentalement au pire.

Le médecin retira sa blouse blanche, remonta les manches de sa chemise bleue nuit, puis il se désinfecta les mains avec de l'alcool. Une grimace passa furtivement sur son visage. Lucia remarqua que le sommet de ses phalanges étaient rouges. Il banda sa main d'un geste expert, rapide et précis.

— C'est... C'est arrivé quand ? s'entendit-elle demander d'une voix tremblante.

Les lèvres de Lucia se pincèrent et la danseuse regretta instantanément sa question maladroite. Le jeune homme avait risqué sa vie pour elle et elle ne l'avait même pas remercié. Elle s'en voulut terriblement et les larmes lui montèrent aux yeux.

Brasier - La ProieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant