Chapitre 20

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La matinée se changea en après-midi et se couvrit de nuages gris et épais. Le vent de la veille avait apporté un orage menaçant et plus ils roulaient vers le nord, plus le ciel s'assombrissait. Les cactus laissaient peu à peu la place à une végétation plus dense et les flancs des montagnes se paraient de verdure une fois le désert passé. Lucia se reposait sur la banquette arrière de la Ford, épuisée par les derniers événements, tentant d'effacer de son esprit les cauchemars qui la terrifiaient. Bercée par le son monotone du moteur, elle laissa sa conscience sombrer malgré l'angoisse qui cernait ses yeux rougis et secs. Elle savait qu'elle pouvait les fermer et qu'Alec veillerait sur elle. Il avait gardé le silence depuis qu'ils avaient repris la route, les yeux fixés sur la route et sur leur objectif, mais ses mots continuaient de résonner à ses oreilles. Ce sentiment de sécurité retrouvé, elle ferma les yeux.

Sa tête se décolla de son oreiller improvisé et vint heurter quelque chose de dur. Le choc lui fit ouvrir les yeux et une douleur aiguë irradia son crâne, mais pendant un instant, elle ne comprit pas ce qu'elle vit. Une silhouette blanche et évanescente était assise sur le siège copilote, tournée vers Alec. Des bras squelettiques et blafards s'agrippaient à son cou et un hurlement strident s'échappait de sa bouche béante tandis qu'il tentait de garder le contrôle de sa voiture. Sa robe blanche semblait flotter dans l'air, mue par une force imperceptible, et ses cheveux dansaient au-dessus de sa tête, défiant la gravité même.

Une décharge électrique réveilla son corps endormi et Lucia s'élança vers l'apparition, bras en avant. Elle traversa son corps translucide qui se dissipa dans une brume lactescente. Le front de Lucia heurta de plein fouet le tableau de bord au moment où Alec reprenait enfin son souffle. Une fine couche de verglas recouvrit la route et la voiture, entraînée par sa vitesse, dévia de sa trajectoire. Les pneus crissèrent et glissèrent sur l'asphalte gelé avant de rencontrer la terre et les graviers du bas côté, et Lucia fut ballotée en tous sens alors que la Ford s'enfonçait dans la nature.

Lorsqu'elle releva la tête, la voiture avait s'était immobilisée et la brume s'était immiscée jusque dans l'habitacle. Épaisse et froide, la purée de pois l'empêchait de reprendre son souffle et sa respiration rauque emplit l'air tandis que son cœur battait contre ses tempes. Un léger goût de fer se diffusa dans sa bouche. Elle porta la main à ses lèvres, mais son corps endolori la rappela vite à l'ordre. Une fois l'éclair de douleur maîtrisé, puisqu'il ne partait jamais vraiment, Lucia prit appui sur ses avant-bras éraflés pour se redresser. À bout de souffle et tremblante, elle laissa son regard vagabonder à travers le pare-brise.

Gris. Tout était gris sous l'épais brouillard. Lucia ne voyait pas plus loin que le bout du capot. Ses oreilles captèrent enfin le ronflement régulier du moteur que les battements effrénés de son cœur avaient camouflé jusque là et une migraine atroce se réveilla, serrant son crâne dans un étau brûlant. Pourtant, il pesait un silence bien trop lourd pour que ce soit fini. Lucia ignora sa nuque qui l'élançait lorsqu'elle posa le regard sur le siège conducteur. Son sang ne fit qu'un tour. Le corps d'Alec était avachi sur le volant.

Son premier réflexe fut de le redresser sur le dossier, mais il pesait son poids et elle dut se contorsionner pour prendre appui sur ses jambes afin de le relever. La panique prit rapidement le relais et, le visage d'Alec entre ses mains, elle l'exhortait de se réveiller. Mais il n'obéit pas. Un filet de sang descendait le long de son front jusqu'à son menton et Lucia dégagea ses cheveux avec angoisse. Les larmes aux yeux l'empêchaient de voir correctement la plaie qui fendait la peau de son crâne, à la naissance des cheveux, et son regard se perdit sur les marques aux teintes violines de son cou.

— Réveille-toi... souffla-t-elle, la voix étranglée de désespoir. Je t'en prie... ne me laisse pas...

Lucia serra le corps immobile d'Alec dans ses bras, le cœur martelant sa poitrine. Il était brûlant, mais elle s'en fichait. Elle voulait l'étreindre plus fort, sentir la chaleur de sa peau contre la sienne, sentir son parfum une dernière fois.

Brasier - La ProieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant