Thorns Of Chaos - Taekook

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      Jeon Jungkook était un serveur parmi tant d'autre dans ce petit bar de fortune qui faisait l'angle d'une rue parmi tant d'autre. Ses rêves ressemblaient à des poèmes, ils avaient une forme artistique. Autant dire que ce n'était donc pas ce à quoi il s'était attendu durant toute son enfance : la vie ressemblait à un cauchemar continu. Mais Jungkook l'avait bien vite compris, nous n'étions plus au temps de l'espérance. Alors, il ne se plaignait pas, se contentait simplement d'accepter et d'encaisser. Ce travail était son seul rempart avec le néant, il lui permettait de survivre tandis que tant d'autres n'en avaient pas eu la chance. La vie était un cadeau dont personne ne connaissait le prix. Il mangeait bien, bien que ce soit par petite quantité. Il avait un toit au-dessus de la tête, bien que quelques mètres carrés pour vivre lui donnaient l'impression d'étouffer.

      Dans un coin de la salle, se tenait Kim Taehyung. Il était assiégé à une table, le dos droit, ses longs doigts enroulés autour d'un verre de whisky pur qu'il savourait avec lenteur. Il dégageait cette prestance impressionnante qui clouait au sol chacun de ses admirateurs. Ce n'était pas la première fois qu'on le voyait, chaque semaine, à trois reprises, l'homme aux cheveux rouges venait s'asseoir à la même table en commandant toujours la même chose depuis quelque temps seulement. Ça ne lui était jamais arrivé en réalité, Taehyung l'avait bien compris : rester discret, rester en vie. Et pourtant, il avait pris goût à venir dans ce petit bar pour attendre l'un de ses collaborateurs et discuter du projet d'avenir.

      Min Yoongi venait de pénétrer à son tour dans l'enseigne, sa touffe de cheveux grisés abrités dans sa capuche car, à l'extérieur, il faisait humide. Il saluait rapidement la jeune fille à l'entrée d'un signe de tête et s'engouffrait au fond de la salle pour rejoindre le jeune adulte aux cheveux rouges. Peu commun certes, mais Taehyung n'était pas commun.

— Bonsoir, lançait-il en prenant en place.

      Taehyung lui répondait par un sourire bref, presque aussi froid que l'atmosphère. Il avalait une gorgée de sa boisson faisant tinter le verre sur la table en le reposant.

— Comment vas-tu ?

— J'ai un mauvais pressentiment, avouait l'autre.

      Le regard de Jungkook s'arrêtait le temps d'un instant sur ces étranges personnages qui se voyaient beaucoup, mais ne semblait pourtant pas très proche pour autant. Dans un premier temps, durant les premières entrevues, le brun avait pensé qu'ils étaient sûrement des rencards. Mais à force de les voir, il avait compris que c'était loin d'être le cas. Il ne semblait ni en amour, ni en amitié. C'était suspect.

      Les orbes de Taehyung remontèrent jusqu'à ceux du jeune serveur, et comme à chaque fois les joues de Jungkook prenaient une teinte semblable à la couleur capillaire du plus âgé. Une réaction dont Taehyung raffolait de son cadet, il souriait à l'intérieur de lui-même à chaque fois qu'elle se produisait. C'était toujours le même effet sur Jungkook depuis des semaines sans qu'il puisse le contrôler.

      L'un comme l'autre n'avait jamais vraiment engagé de rapprochement. Leurs interactions se limitant au serveur s'occupant de son client. Mais pourtant, leurs yeux se transmettaient une autoroute d'information. Ils discutaient ensemble par le regard sans pour autant se connaître d'une autre façon. C'était étrange.

      Taehyung avait développé une sorte d'affection, ne vous méprenez pas : ce n'était pas de l'amour, non. C'était un plaisir pour ses pupilles d'un fauve mielleux. Jungkook, quant à lui, devait avouer que le plus vieux était d'une beauté chamboulant ses pensées, mais ce n'était qu'une constatation objective parce que ce n'était pas possible d'apprécier quelqu'un dont on ne connaissait rien, pas vrai ? Voilà ce qui taraudait les deux esprits confus depuis des semaines déjà.

      Taehyung se concentrait de nouveau sur son compagnon pour se libérer de ses songes. Son attention avait un prix, ce n'était pas bon pour sa personne de se laisser distraire avec une telle facilité. Taehyung opérait dans l'ombre depuis bien longtemps maintenant, à ses risques et périls. Pour Yoongi, c'était différent, il avait toujours été un homme suivant le droit chemin, la situation l'avait poussé à trébucher sur un caillou. Ils collaboraient sur un projet aux dimensions hors du commun et de la pensée depuis un bon moment déjà, quelques mois.

— Combien ?

— Cinq cent armes environ, je donnerais l'ordre de les faire transférer jusqu'à Cypher en temps venu.

      Exposer sa puissance, Taehyung aimait ça. Il titillait la gâchette de son arme à feu lorsqu'il se trouvait dans une situation délicate sans pour autant tirer pour tuer. Car dans sa vie, Taehyung n'avait assassiné qu'une seule et unique personne contrairement aux apparences. Il n'était pas un monstre.

      Jungkook sortait petit à petit les verres auparavant sales du lave-vaisselle tout en passant un coup de torchon à l'intérieur avant de les rabattre sur l'étagère. La petite télévision occupait ses sens, car elle inondait la pièce. Le son n'était pas très fort, mais le bar très peu occupé ce soir alors elle couvrait le reste du bruit. Un verre s'étalait au sol, se brisant avec un son sourd qui attirait l'attention de tous les clients qui à présent avaient les yeux braqués sur lui. Jungkook avait senti le malaise l'envahir avec horreur, il détestait être le centre de l'attention. Une femme avait osé lever les yeux au ciel devant l'incompétence flagrante du jeune serveur. Pourtant, ce n'était pas de sa faute : il serrait toujours entre ses paumes le verre qu'il venait de sortir de la machine. Non, l'objet fragile était tombé de l'étagère après la petite secousse qui avait fait trembler les murs sans que personne ne le remarque.

     Personne mis à part Taehyung, qui partageait à présent le mauvais pré-sentiment de Yoongi avec une douloureuse sensation lui compressant la poitrine.

     À présent, il ne parvenait plus à regagner sa concentration. Non, ses yeux s'étaient figés sur l'écran qui avait tourner au jaune poussin, c'était inhabituel. Mais ce qui l'était encore plus était le « flash info » qui avait brusquement interrompu le programme de musique. Un homme d'une quarantaine d'années se présentait alors, un costume bleu nuit sur le dos, les cheveux plaqués vers l'arrière. Il semblait muni d'un sérieux à toute épreuve. Mais pourtant, son visage transmettait l'angoisse, la peur, la terreur. Et ça avait procuré un frisson désagréable au jeune brun. Un tourbillon de sonnerie résonnait alors dans la pièce alors que chaque personne présente dégainait son appareil pour jeter un coup d'œil à l'écran. L'homme de la télévision venait de s'afficher également sous leurs yeux.

— Bonsoir, commençait-il en se raclant la gorge. L'annonce que je vais vous transmettre dans quelques secondes est comme qui dirait... Complexe. I-il y a quelques minutes, le centre de Séoul, s'étendant de l'assemblée jusqu'au terrain de l'université, ainsi que la moitié des villes au sud du pays ont été exterminés par des missiles meurtriers.

     Le visage du jeune au comptoir se décomposait accompagné rapidement par ceux des autres personnes qui lui tenaient compagnie dans la pièce. Leurs cœurs étaient lourds de craintes, de peur, de terreur. Car chacun savait ce que cela signifiait.

— Le gouvernement n'est plus, le pays vient de plonger dans une nouvelle ère : le chaos. À présent, le seul moyen pour vous d'exister est de survivre. Du fond du cœur, bonne chance à tous, protégés votre âme je vous en pris.

      L'écran se figeait avant de se brouiller en centaine de petites colonnes d'une teinte de gris. On entendait plus un bruit si ce n'était que les battements fous de son cœur pour les oreilles de Jungkook. Tout s'assemblait dans leur crâne pour former des informations qui se reliaient en une chose logique et censée pour accepter. Plus un bruit, plus un geste. Comme si tout était figé.

      Et puis finalement, le noir. D'abord, l'écran électrique, puis les lumières au plafond, une à une, les lampadaires dans la rue, la devanture du magasin, l'espoir. Tout s'éteignait dans une seule et même vague.
     On venait de signer la fin d'une nation avec une plume de sang.