~ 19 ~ Farid

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La jeune fille se tient droite au milieu de la clairière. La taille des arbres alentours semblent rapetisser sa silhouette. Le cœur de Farid bat nerveusement, mal à l'aise d'avoir jeté l'enfant avec une telle responsabilité.

Il échange un regard avec Shayna, non loin de lui. Il lit les mêmes remords dans ses yeux noisette.

Il retient son souffle lorsque la frêle main d'Edwina, agrippée au pommeau du couteau, se pose sur son poignet. Aura-t-elle le courage de s'entailler ? D'un geste vif qui lui arrache un râle, elle s'ouvre le poignet. Farid porte une main à sa bouche pour s'empêcher de crier. Les yeux écarquillés, il observe l'abondante quantité de sang qui s'échappe de sa blessure. Il est tétanisé derrière son arbre, les doigts crispés sur son morceau de filet.

Il ferme les yeux un instant le temps de se reprendre. Le Cerf sera là d'une minute à l'autre, il doit se ressaisir. Lorsqu'il rouvre les yeux, toute hésitation a quitté ses iris sombres.

Le corps d'Edwina se met à trembler. Ses jambes lâchent et la jeune fille tombe à genoux. La lame lui échappe des mains, tombe dans la flaque d'hémoglobine et éclabousse sa tunique crème.

Un mouvement attire l'attention de Farid un peu plus loin. Les arbres semblent se mettre à chuchoter, leurs feuilles dansant dans la brise. L'imposant cervidé se fraye un chemin parmi les troncs resserrés. Ses longues pattes ne touchent pas le sol alors qu'il avance lentement vers Edwina. Baissant sa lourde tête aux bois brillants, il s'approche d'elle et la renifle délicatement. Ses naseaux effleurent le visage de la jeune fille dont les paupières vibrent et se ferment.

Brusquement, il relève la tête et recule de quelques pas. Le coeur de Farid trébuche dans sa poitrine alors qu'il contient sa respiration à un souffle. Le Cerf semble se douter de quelque chose. Leur plan va échouer si l'animal prend la fuite. Il ne doit se rapprocher de quelques pas.

L'encolure grandement levée, son corps porté sur ses postérieurs, il est paré à toutes éventualités. Au moindre bruit suspect, l'animal pivote et fuit en seulement quelques instants. Farid n'en a que cruellement conscience.

Ses iris bruns ne quittent pas le cervidé, prêt à lancer le signal dès que celui-ci sera assez proche.

L'animal ne bouge pas, le pelage parcouru de quelques frissonnements. Ses yeux inquiets virevoltent avant de se reposer sur Edwina. Toute inquiétude envolée, il se rapproche et renifle la jeune fille allongée dans la boue. Sa peau pâle semble encore plus blanche que d'habitude, presque translucide.

L'animal fait un pas. Il est assez proche, maintenant. Farid peut sentir l'impatience de ses camarades, mais lui n'esquisse pas un mouvement. Il attend que le museau du Cerf touche la plaie d'Edwina.

Un petit nuage blanc, aussi scintillant que la robe de l'animal, se forme sur le poignet de la jeune fille. Les lèvres entrouvertes de stupéfaction, Farid suit la scène, les yeux écarquillés. Il n'avait pas pu observer la première guérison et le phénomène est magique.

La brume éclatante de blancheur diminue d'intensité. C'est le moment. L'esprit guerrier de Farid en a conscience, mais son cœur n'arrive pas à se détacher de cette scène splendide.

Il reste ébahi devant la prestation du Cerf.

La corde, dans sa main, se met à vibrer. Il relève la tête et croise le regard de Shayna. Le message porté par ses yeux écarquillés et par son mouvement de tête vers notre proie est clair. Farid hoche la tête et siffle.

C'est une note brève, qui explose dans le silence environnant. Ses jambes se détendent et il bondit hors de sa cachette. Du coin de l'œil, il voit la silhouette du Prince faire de même. Le filet se détend entre eux et s'articule dans le ciel.

Le Cervidé relève vivement la tête et pousse un cri étrange, qui ressemble plus à un son produit par ses deux lèvres qui vibrent l'une contre l'autre. Il se porte sur ses postérieurs, mettant son poids à l'arrière de son corps pour lui permettre plus de mobilité. Il cherche à fuir, mais il est trop tard.

Le piège se referme sur lui. Le filet s'enroule autour du son corps imposant et s'emmêle dans ses bois à cause de ses mouvements effrayés. Ses sabots touchent maintenant le sol et claquent dans la terre meuble, éclaboussant sa robe blanche de tâches brunâtres.

Le bras de Farid l'élance et ses doigts se cramponnent à son bout de filet. S'il lâche, l'animal s'enfuira. Il serre sa mâchoire et se rapproche. Son cœur tambourine dans sa poitrine alors qu'il louvoie habilement pour éviter les ruades de l'animal enragé. Arrivé près de lui, il bondit de nouveau, le regard rivé sur son garrot.

Le Cervidé s'avère n'être pas très grand, d'aussi proche. Sous le filet, il semble même avoir réduit. Farid atterri sur son dos et provoque une nouvelle ruade. Le Cerf se démène sous les mailles, mais n'arrive qu'à s'emmêler plus profondément. Bientôt, les liens se distendent et l'animal tombe à genoux dans un lourd fracas. Ses mouvements diminuent.

Farid agrippe les bois de l'animal au travers du filet. Fermement cramponné, il se lance sur le côté, forçant l'animal à s'échouer sur le flanc. Le cœur battant, Farid retire prestement sa jambe droite pour éviter de se faire écraser et plaque la tête du Cerf au sol. Il maintient sa joue contre la boue pour éviter qu'il ne blesse un membre du groupe ou qu'il ne se relève, et il pose un genou sur son encolure. L'animal bat vainement des pattes et émet un étrange son qui ressemble à une plainte. Peu à peu, ses réactions se calment, jusqu'à ce qu'il arrête de se débattre.

Farid laisse alors échapper une longue expiration et ses muscles se détendent. Son rythme cardiaque fou s'accorde à celui de l'animal qu'il sent par leur contact. Il n'était pas sûr de réussir sa prise : il n'avait jusque-là chasser que des petits mammifères, ou des reptiles. Rien de comparable.

La respiration saccadée, Farid relève la tête. Le premier regard qu'il croise glace son sang dans ses veines. C'est celui de Shayna. La jeune fille observe l'animal d'un regard écarquillé où les pupilles mangent sa couleur noisette. L'horreur déforme son visage et ses pommettes ont perdu des couleurs.

Elle réalise que la capture d'un animal est brutale, malgré leur envie commune de ne pas le blesser. 

Mythomorphia ~ L'Esprit De La ForêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant