Chapitre 12. Alliés

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Il aurait dû s'en douter plus tôt, lors de l'élaboration-même de son plan. A force de marcher toujours dans la même direction – ou du moins, plus ou moins dans la même direction – il a dû s'éloigner considérablement des autres candidats et, où est le divertissement lorsqu'un tribut est seul dans une forêt, à plus de dix kilomètres de ses adversaires et immunisé contre toute attaque animale ? Ils auraient pu le laisser errer, jusqu'à ce qu'il meure de soif ou de fatigue mais non, ce n'est pas assez sanglant, pas assez... spectaculaire. Haymitch repense à la colère de la montagne qui, soudain, s'était déchirée en deux, en proie à une explosion de flammes, de fumée et de pierres tranchantes décimant tout sur leur passage. Ça, c'est spectaculaire. Et si les organisateurs sont capables de déguiser un volcan en montagne et attendre qu'une bande de tributs y campent pour en faire un nouveau bain de sang, ils ne vont certainement laisser un candidat échapper à leur ingéniosité en le laissant vagabonder jusqu'aux prémices de leur arène.

Le garçon retient un cri de frustration et, d'un pas décidé, rebrousse chemin. L'idée d'atteindre la limite de l'arène ne l'a pas quitté et il se promet de trouver un moyen d'y accéder, quitte à y laisser la vie. Il ne va pas abandonner son unique plan à cause de ces charlatans tout puissants qui, en ce moment-même, doivent ricaner fièrement de leur petit subterfuge. L'image du Haut-Juge Caldwell, un sourire suffisant scotché à ses lèvres, se forme dans la tête d'Haymitch qui, écumant de rage, plante violemment son couteau dans l'écorce épaisse du premier arbre qu'il rencontre. Les branches au-dessus de lui frémissent et il voit une floppée d'oiseaux rose vif – qu'il n'a encore jamais croisé – s'envoler en piaillant de mécontentement. Il reste quelques instants adossé au tronc qu'il a entaillé, le temps de reprendre ses esprits.

Il ne doit pas céder à la colère, sans quoi il risque non seulement d'user le peu de force qui lui reste inutilement mais aussi d'être aveugle aux autres dangers qui le menacent constamment. D'autant que, désormais contraint de faire marche arrière, il va immanquablement s'approcher des autres tributs qui n'hésiteraient alors pas à lui trancher la gorge dès que possible. L'idée qu'un de ses adversaires soit en train de l'observer à ce moment, attendant l'instant propice pour l'achever, lui redonne suffisamment de prudence pour que sa haine envers les créateurs des Jeux retombe d'un cran, se résumant à un grondement au creux de son ventre.

Il doit se reprendre à plusieurs fois avant de réussir à déloger la lame de l'arbre et une fois dans sa main, il se décide de ne plus la quitter, au cas où. La colère a laissé place à un état de vigilance extrême, lorsqu'il se remet en marche, dos à la direction qu'il avait jusqu'alors suivie avec application. Il marche plusieurs heures – deux ou trois selon ses estimations – sans rencontrer quoi ou qui que ce soit. Loin d'en être rassuré, il a la désagréable sensation que, plus il avance, plus il se jette de la gueule du loup. Le moindre frémissement le fait sursauter, le moindre glapissement d'animal ou crissement d'insecte lui provoque des frissons incontrôlables. Les rares pauses qu'il s'accorde se résument à faire glisser la braguette de son pantalon pour se soulager en vitesse ou masser pendant une minute à peine ses muscles endoloris qui menacent de cramper.

Au bout de deux ou trois heures donc, il se permet une nouvelle halte et prenant appui sur un tronc coupé, sort sa gourde de son sac pour en inspecter avec crainte le contenu. Il doit lui rester quatre gorgée à peine. Il soupire, en sentant sa salive acide incapable d'humecter ses lèvres ou sa langue. Il avale avec précaution une petite quantité d'eau, à peine suffisante pour que sa bouche ait l'impression d'avoir été hydratée. Les mains tremblantes, il se force à reboucher hermétiquement le contenant et le remettre dans son sac, coupant court à toute tentation qui pourrait, dans l'avenir, lui être fatal. Il se relève, décidemment de mauvaise humeur, titube sur quelques pas le temps de retrouver un équilibre de plus en plus précaire puis continue sa route.

Les Jeux de l'Expiation [Hunger Games]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant