Chapitre 17. La dernière nuit (2/2)

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La douleur qui irradie le ventre d'Haymitch est bien pire que toutes celles qu'il a eu à encaisser jusque-là. C'est une souffrance si vive, si brûlante que le garçon sent son esprit basculer automatiquement dans un état comateux, comme s'il cherche à fuir la réalité. Sa vue se brouille, ses sens se dérèglent dans une cacophonie à en perdre la tête. Pourtant, il reste conscient de sa situation et de sa douleur.

Il perçoit très vaguement le corps parcouru de spasmes de Daphne tomber lourdement à côté de lui. Peut-être gémit-elle, peut-être crie-t-elle. Il n'entend rien d'autre qu'un bourdonnement lointain et sourd.

Tremblant, il parvient à bouger une main jusqu'à son ventre, là où la hache est venue pénétrer sa chair. Ses doigts ne rencontrent que du sang, une mare de sang poisseux qui s'écoule tranquillement jusqu'au sol, où le liquide s'infiltre peu à peu dans la terre pour ne faire qu'un avec elle.

Une pensée absurde traverse son esprit et, s'il n'était pas en train d'agoniser, un rire lugubre aurait probablement franchi ses lèvres en réponse à cette idée.

Que se passe-t-il si les deux derniers tributs mouraient en même temps ?

La tête déconfite du Haut-Juge Caldwell s'impose à lui et le tire un bref moment de la torpeur dans laquelle il est plongée depuis que la hache s'est logée dans son corps.

Haymitch parvient à tourner la tête en direction de son adversaire, toujours clouée à terre. Les spasmes de douleur qui la parcouraient précédemment se sont calmés. Haymitch ne sait pas si cela annonce une bonne ou une mauvaise nouvelle. Son corps est-il en train de rendre ses dernières forces ou, bien au contraire, est-elle en train de reprendre possession d'elle-même ? Le visage de la jeune fille se résume, d'où il se tient et compte tenu des capacités réduites de ses sens, a une masse sanguinolente et informe. Malgré le sérieux de cette blessure, il voit que sa poitrine se soulève doucement, signe qu'elle se bat encore pour la vie.

Le garçon se focalise sur les sensations de son propre corps et essaye de se mouvoir. Il ne peut pas rester à côté de Daphne, qui risque de l'embrocher une bonne fois pour toutes d'ici quelques minutes. Ses bras répondent à peu près correctement à son cerveau, bien que ses muscles semblent devenus aussi mous que de la purée. Ses jambes, en revanche, sont une toute autre histoire. Il se rend compte qu'au-delà de son ventre – réduit à une vaste douleur sifflante – il n'a aucune sensation provenant du reste de son corps. Une nouvelle pensée traverse son esprit, bien plus glauque que la précédente.

Et si Daphne lui a coupé les jambes, de son coup de hache ?

Cette perspective est bien vite chassée par le brin de clairvoyance qui s'agite encore dans son esprit pourtant brumeux. Non, elle n'a pas pu lui couper les jambes car elle aurait eu besoin pour cela de plusieurs coups de hache et il est sûr de n'en avoir reçu qu'un.

Un de trop, pense-t-il lugubrement.

Il porte une main à sa jambe et se pince la peau aussi fort qu'il le peut. Il perçoit un vague picotement, bien dérisoire par rapport à ce qu'il ressent au niveau de son estomac. Il essaye d'activer son bassin. Grave erreur.

Un élancement horrible lui traverse le corps, comme si une flamme s'était insinuée dans ses vaisseaux sanguins et remontait le long de ses muscles en sifflotant. Il ouvre la bouche pour hurler, mais il n'entend qu'un très faible gazouillement pathétique sortir de sa gorge. Ensuite, il perd connaissance.

Ce qu'il voit ensuite n'a aucun sens. C'est un enchevêtrement de pensées, de sensations, de souvenirs.

Il est dans la forêt. Dans une forêt. Du feu, partout... il brûle lui-même. Mais il ne crie pas, il ne crie pas et pour échapper au feu il... vole ? Il survole la forêt, ses ailes rose vif battent le vent mêlé de suie, il veut crier mais seul un piaillement aigu sort de son long bec pointu. Au loin, il voit une clairière. Il s'y dirige, il ne sait pas pourquoi. Il y a une silhouette, qui traverse la prairie en courant. Il fond sur elle. Cris, battements furieux d'ailes. Il enfonce son bec dans la chair de sa victime, du sang éclabousse son plumage. Il sent la trachée se rompre et la silhouette s'effondre au sol. Il se dégage –

Les Jeux de l'Expiation [Hunger Games]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant