Epilogue

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La solitude peut-elle s'exprimer par d'autres mots que ceux du silence ? 

Cela fait longtemps que cette chambre est plongée dans un doux silence.
Même les pensées se taisent, rien ne bouge, rien ne change.
Ce n'est pas un silence protecteur, qui est stable et qui rassure. C'est un silence morne, habituel et figé. Un silence glacé. 

Comme si la pièce était inhabitée.

Pourtant, quelqu'un y vit. Ou plutôt...

Quelqu'un y reste en permanence, sans pratiquement jamais sortir. Une âme solitaire y demeure, elle n'a rien d'autre à faire.

Isaac est installé sur son lit. Il est assis, ses jambes dépassent du matelas pour s'échouer sur le sol. À côté de lui, son téléphone gît près de l'oreiller. Tout le reste est vide autour de lui.
Tout le reste l'étouffe.
Son visage est creusé, cerné, pâle.  Ses yeux noisette ont perdu tout éclat, il a le regard lointain. Ses cheveux blonds sont en désordre, ils ont beaucoup poussé, et il n'est pas rare qu'ils se mettent devant ses yeux quand il bouge un peu.

Ça ne dérange même pas Isaac. Ça n'a aucune importance. 

Ça n'a aucune importance, tout comme l'amas de bouteilles d'eau vides dispersées autour de son lit, tout comme le paquet de gâteaux secs terminé depuis plusieurs jours qui traîne près de la fenêtre. 

Isaac se lève. Ses jambes fines sont nues, il porte seulement un caleçon qui ne cache pas les marques rouges qui zèbrent ses cuisses. Le haut de son corps est dissimulé par un pull trop grand à la couleur bleue un peu délavée. Il s'approche de la fenêtre de sa chambre. Le volet est à moitié baissé, ce qui permet de diminuer la luminosité de la pièce. Il ne supporte plus la lumière.
Dehors, il n'y a rien de toute façon. Il y a ce qu'il y a toujours eu. Les bruits désagréables de la ville, certains plus forts que d'autres, que la fenêtre fermée n'arrive pas à atténuer complètement, la fausse agitation, qui ne consiste qu'à répéter jour après jour les mêmes trajets, les mêmes retards, les mêmes conversations, les mêmes coups de klaxons, les mêmes insultes, les mêmes aboiements de chiens,  les mêmes sirènes des pompiers, rien de nouveau. Isaac contemple machinalement la moitié de paysage qu'il peut voir. Il le connaît par cœur de toute manière, ce paysage, il n'a pas besoin de regarder pour se rappeler des moindres détails. Seulement, cette fois, aucune image ne traverse son esprit. Tout reste calme.

Un son résonnant un étage plus bas le fait réagir, et il s'éloigne brusquement de la fenêtre. Il marche gauchement dans sa chambre, passe plusieurs fois devant son lit, manquant de trébucher sur une des bouteilles vides qui jonchent le sol. Son pied droit écrase la bouteille dans un grand bruit et il manque de tomber. Il se rattrape à un meuble, qui grince doucement et garde les yeux rivés sur le sol. Ses cheveux lui tombent devant les yeux, il est obligé de les repousser pour ne pas être gêné. 

Ses paupières s'abaissent soudainement, dans un court battement avant de se relever. Un éclair de lucidité le traverse, suivit d'une douleur sans nom. Sa respiration s'accélère et son visage exprime à nouveau des émotions dans leur forme la plus brute. Il grimace, les sourcils froncés, l'air de souffrir horriblement. Inconsciemment peut-être, il s'est rapproché du devant de son lit, où son téléphone n'a pas bougé. Il est toujours posé sur l'oreiller, comme une tranquille invitation.

Il attrape d'une main tremblante l'appareil, compose le code et se rend dans ses contacts. Cela fait si longtemps qu'il ne s'en est pas servi, le téléphone est presque déchargé.

Il appuie sur le seul contact qui a un jour vraiment compté et contemple bêtement le nom et la photo qui s'affiche. Une photo dont la joie du modèle sort littéralement de l'écran. Il n'a pas pu l'effacer. Une photo qui lui fait mal rien que quand il la regarde. Mais qui lui donne aussi terriblement envie d'appuyer sur le téléphone vert.
Isaac avance timidement son pouce vers l'icône. Il prend déjà une grande inspiration. Il va appuyer.

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Un petit sourire naît sur ses lèvres. Il en est incapable. Sans quitter la photo des yeux, il éteint le portable. L'image a complètement disparu, et le téléphone devient un objet inanimé parfaitement inutile. Isaac le pose précautionneusement sur sa table de nuit. Il se redresse ensuite et se dirige à petits pas vers la salle de bain.

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À nouveau dans sa chambre, Isaac s'est rallongé.
Enfin, il s'est plutôt laissé tomber en arrière, le matelas amortissant confortablement sa chute.

Tout est dans sa tête.
Rien n'est dans sa tête.

Au milieu d'une chambre aux murs blancs, déserts de toute inscription, de toute décoration, un blanc presque médical, qui rappelle celui qu'on retrouve sur les murs des hôpitaux, blanc comme les tableaux du lycée quand on les retrouve le matin, vierges de toute formule mathématique compliquée, blanc comme l'écran d'un téléphone, blanc comme les draps, blanc comme le milieu de l'après-midi, blanc comme la nuit, entouré par tout ce vide, un garçon encore plus vide est allongé.

Les yeux grands ouverts fixant le plafond, il ne voit rien. Un léger bruit, comme celui d'une télévision en sourdine résonne dans la pièce, mais il n'entend rien. L'odeur dans la chambre est très forte, comme si cela faisait des jours qu'elle n'a pas été aérée. Une odeur nauséabonde s'échappe de la poubelle, mais le garçon ne sent rien. Il a à peine conscience du matelas et de la couverture qui est sous lui, il ne peut pas s'apercevoir que dans la semi obscurité, rien dans sa chambre n'a bougé.

Tout est comme avant. Il est seul.

Son corps maigre semble flotter sur ce lit.

La seule chose qui le rattache désespérément au matelas est le filet rouge qui descend de son poignet pour se mêler au blanc du matelas.
Les murs blancs
Le matelas blanc
Les draps blancs

La peau blanche striée de vermeil

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Dans la rue, une voiture passe.

Ah bah merde  (Minewt)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant