Chapitre 27

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Sarge se réveilla à l'aube. Il eût du mal à s'extirper de sa couchette après une nuit d'un sommeil réparateur plus que nécessaire. Il sentait encore sur sa peau les faibles effluves de parfum de la veille, la douce odeur lui raviva les sens et il se rendit dans la pièce principale où il trouva les quatre autres membres de leur petit groupe hétéroclite, tous déjà réveillés. Nul n'aurait su lui reprocher de s'être offert le luxe de profiter plus longtemps de la tendre étreinte du sommeil, après tout, il était celui qui avait passé le plus de temps à errer, seul, dans La Ceinture Fangeuse. En entrant dans la pièce, il se rendit aussitôt aux cotés de Fass. Le jeune chef des Enfants-Pêcheurs et lui avaient tissés des liens, peut-être en raison du respect qu'ils éprouvaient tous deux envers L'Ouvrier. Sarge avait plusieurs fois envisager de lui expliquer le rapport qu'il entretenait avec L'Ouvrier, ainsi que la mission que ce dernier lui avait confiée, mais il s'était finalement ravisé, il se devait de faire preuve de la plus grande prudence à ce sujet. Il interrogea du regard le jeune homme au visage percé d'hameçons.

"Les Kraosi ne sont pas encore arrivés aux Monts Scintillants", lui répondit-il, "mais ça ne saurait tarder. Chalgoath dit que ses éclaireurs lui ont affirmé qu'ils seraient là avant que Kraos n'ait entamé sa descente vers l'horizon."

Sarge le remercia pour l'information et balaya la pièce du regard. Comme à son habitude, Sebas Aïd Imadim maintenait une façade calme, si bien qu'il aurait été impossible de deviner à son visage impassible qu'il s'apprêtait à entrer en guerre contre un ennemi doté d'armes redoutables. Niro, quant à lui, loin de l'image imperturbable de son maitre, ne parvenait pas à masquer son appréhension et ne cessait de mâchonner sa lèvre inférieure tout en pliant nerveusement les recoins de sa longue cape noire. Sarge ne pût s'empêcher de se demander, en comparant l'image calme de Sebas Aïd Imadim et la nervosité digne d'un lapin pris dans un piège à collet de Niro, comment le maitre et l'apprenti pouvaient être si différents. La nervosité qui épargnait le maitre semblait trouver refuge chez l'apprenti. Son regard passa finalement sur Altéa et il fût surpris de remarquer qu'elle semblait agitée elle aussi. Non pas de la même agitation angoissée qui tiraillait Niro et lui déclenchait des tics nerveux dont il était à peine conscient, mais d'une agitation impatiente, comme si l'idée des combats qui allaient avoir lieu l'emplissait d'une hâte irrépressible. Pourtant, Sarge avait bien remarqué que Sebas Aïd Imadim n'était pas satisfait de la jeune femme. Il ignorait pourquoi elle accompagnait Sebas Aïd Imadim dans son entreprise, mais il était évident, à la façon dont ce dernier la traitait, qu'elle n'avait pas rempli les objectifs qu'il lui avait confié, quels qu'ils soient.

Sarge avala quelques baies et un bout de pain qui avaient été déposés sur la table et, peu de temps après, Sebas Aïd Imadim déclara qu'il était temps d'y aller et tous les quatre le suivirent. Les Kraosi n'étaient pas encore en vue, mais il était impensable pour Sebas Aïd Imadim de ne pas attendre leur arrivée en contemplant La Trainée du Ver depuis le sommet de leurs défenses.

Bien que Sarge soit resté dormir plus longtemps, la matinée n'était pas encore très avancée, si bien que d'épais rubans de brouillard s'accrochaient encore aux flancs des Monts Scintillants, emplissant l'air d'une fraicheur humide et tordant les rayons lumineux de Kraos en petits flux blancs qui se déposaient sur la roche et brouillaient la vision à partir d'une certaine distance. La cime des arbres de La Ceinture Fangeuse perçait une couche brumeuse, comme des récifs aiguisés parmi les remous d'une falaise côtière assaillie par les vagues d'une mer couverte d'écume blanche.

Ils se mirent en route en direction de la ligne de défense qui avait été installée face à La Trainée du Ver. Le brouillard matinal qui enveloppait les environs rendait leur marche irréelle, les sons semblaient plus ténus et ils avaient l'impression d'avoir la tête enveloppée dans une bande de coton humide. L'idée que de violents combats étaient sur le point d'éclater fuyait leurs esprits tandis qu'ils approchaient de la ligne de front et leurs sens semblaient s'émousser au milieu de cette brume opaque. Ce n'est que lorsqu'ils arrivèrent enfin à leur destination et qu'ils y trouvèrent les Sombrals que cette fausse impression de sécurité s'envola. Les visages austères qu'affichaient les Sombrals tandis que leurs yeux fouillaient les profondeurs de la brume en direction de La Trainée du Ver, à la recherche du moindre signe, du moindre mouvement, et le silence qui régnait parmi eux, seulement rompu par les frottements d'un pied sur la roche ou par les murmures du vent, les rappelèrent brusquement au présent et à leurs devoirs.

Chasse Le Soleil, Traqué Par La LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant