Chapitre 1 : Arya

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Le soleil était déjà bas dans le ciel.
La reine des elfes attendait patiemment dans l'antichambre qui précédait les appartements de Nasuada. Son visage était un masque parfait, retenant miraculeusement chacune de ses émotions pour ne jamais les laisser traverser la frontière de sa peau. C'était heureux car, des émotions, elle en ressentait une myriade à l'heure actuelle.

Nasuada n'allait pas bien. C'était sans doute les dernières heures qui lui restaient à vivre.
Elle avait fait mander Arya pour lui confier ses derniers mots, non en tant que souveraine, mais en tant qu'amie.
Nasuada n'avait pas vraiment de famille au delà de celle de la tribu de son défunt père, Ajihad. Elle ne s'était jamais mariée et n'avait jamais eu de descendance, donc pas de successeur.
Peut-être était-ce parce qu'elle se donnait corps et âme à son devoir... Mais Arya, quant à elle, se doutait qu'il y avait une autre raison, une raison qui expliquait leur grande complicité à toutes les deux.
Oui, se dit Arya, elles avaient quelque chose en commun. Quelque chose, ou quelqu'un, qu'elles avaient perdu il y a ce qui lui semblait être une éternité.

Soudain, la grande porte devant laquelle la reine des elfes attendait s'ouvrît vers l'intérieur. Un homme de haute taille se trouvait dans l'embrasure.
-Votre Majesté, dit-il en saluant Arya à la manière des elfes, Sa Majesté la Reine Nasuada désire vous parler.
-Comment va-t-elle ? s'enquit sans tarder Arya, bien qu'elle connaissait déjà la réponse.
-Mal. Elle est à l'article de la mort, Ma Dame, répondit l'homme. Selon nos guérisseurs, elle ne passera pas la nuit.
-Bon, fit-elle, la mine impassible. Dans ce cas là, j'entre sans tarder.
Elle devança l'homme, ne prenant même pas la peine de le suivre. Le détaillant au passage, elle remarqua qu'il coiffait ses cheveux grisonnants en une queue de cheval qui lui rappelait curieusement Jörmundur.
« Se pourrait-il que... ?» Non. Elle n'avait pas le loisir de penser à cela. Il lui fallait voir au plus vite son amie, l'un des seuls humains qu'elle s'était prise à admirer au fil du temps qui coulait pour elle bien autrement que pour les mortels. Il y en avait un autre évidemment, mais elle s'interdisait de penser à lui. Cela la faisait trop souffrir.

Elle avança dans un corridor richement décoré qui menait à une chambre aux dimensions bien trop exagérées pour une seule personne.
Elle n'aimait pas le luxe, préférant l'utile, tout comme elle aimait l'action plutôt que les mots. Cela ne ressemblait pas non plus à Nasuada. Pourtant, en s'avançant dans la chambre plongée dans la pénombre, elle l'aperçut. Les rideaux étaient tirés, et seule la frêle flamme d'une bougie éclairait le visage sombre de celle qui avait su renverser l'Empire.
Elle était âgée désormais. Elle avait vécu plus longtemps qu'aucun humain avant elle, mais ses rides étaient celles d'une femme de soixante-dix ans, grâce aux nombreux filtres et cataplasmes qu'Angela lui avait laissé au début de son règne, avant de disparaître en un clin d'œil. Ses cheveux, seuls indices de son grand âge, étaient d'un blanc immaculé, car elle se refusait à les teindre.
Cent dix-huit ans ! Même si c'était encore jeune pour un elfe, Nasuada jouissait d'une haute réputation auprès de leur peuple, et les rares fils et filles d'Alalëa qui vivaient à Ilirea lui montraient le même respect qu'ils avaient pour les plus anciens d'entre eux.

La reine des Hommes était alitée, recouverte d'épaisses couvertures, alors que l'on apercevait à peine dehors le manteau ocre de l'automne. Arya fit un pas de plus et Nasuada, qui avait encore une bonne vue, la remarqua.
-Approche, mon amie, j'espérais vivre encore un peu, mais je sens mon heure arriver. J'ai tant de choses à te dire...
Son éternelle confidente s'avança délicatement d'une démarche de chat, et s'assit dans un fauteuil placé au chevet de la reine.
-Que voulais-tu me dire ?
Nasuada prit une longue inspiration, non sans une certaine difficulté. Elle fut ensuite prise d'une quinte de toux qui dura plus d'une minute. Arya, patiente, attendit silencieusement.
-Tu te souviens de mon... désir le plus cher ?
-Bien entendu, répondit l'elfe, réguler l'usage de la magie. Je croyais que c'était déjà chose faite ? Mis à part les quelques dragonniers indépendants qui sillonnent maintenant le royaume, tes sujets magiciens sont contrôlés par l'ordre que tu as établi il y a bientôt cent ans. Même les elfes qui habitent le royaume sont...
-L'ordre est faible, répondit sèchement Nasuada, il ne contrôlait déjà pas grand chose au départ. Il n'est plus d'aucune utilité aujourd'hui. La plupart des jeteurs de sorts qui veulent transgresser les règles le peuvent avec un peu d'astuce. Quant aux dragonniers, ce n'est que par défaut de moyens que je leur laisse cette liberté. Non, l'ordre n'était qu'une façade.
-Que veux-tu dire par là ? Arya parut légèrement circonspecte.
-Il y a environ cinquante ans, j'ai su que tout cela ne mènerait à rien. Sans le nom des noms, aucun mage de l'ordre n'avait le pouvoir de réguler l'usage de la magie comme je le voulais. Je désespérais d'un jour rendre mes sujets égaux. J'en faisais des cauchemars presque toutes les nuits. C'est à ce moment qu'Il est arrivé.
-Il ? De qui parles-tu ?
Nasuada grimaça et ferma à demi les yeux à l'évocation de ce souvenir.
-L'homme à la peau grise et aux yeux jaunes, articula-t-elle lentement, il connaissait le Nom.
L'elfe blêmit.
-Il connaît le Nom de l'ancien langage ? murmura-t-elle, mais...
Nasuada la coupa d'un geste de monarque.
-Il m'a assuré qu'il pourrait remédier à mon problème. C'est comme ça que j'ai accepté de l'écouter. C'est quelqu'un de terriblement puissant, Arya. Mais il est... étrange. Comme s'il provenait d'une autre époque. Au début je lui ai fait confiance, et je lui ai donné un objet que nous avons trouvé dans les décombres de la citadelle noire.

Arya perdit son calme. Elle attrapa le bras de son amie.
-Quel était cet artefact ?!
-Je... je n'ai plus les idées très claires, je ne m'en souviens plus, c'était il y a si longtemps...
-Nasuada, s'écria Arya, il faut que tu me dises ce que tu lui a donné ! Il connaît le Nom ! Te rends tu compte de ce que ça représente ? As-tu une idée de ce qu'il a pu préparer pendant toutes ces années ?
Nasuada fut prise d'une nouvelle quinte de toux. Elle dut faire un effort pour continuer à parler.
-Il... Il avait besoin de cet objet pour créer quelque chose. Il m'a dit qu'il ferait en sorte que la magie ne soit plus un danger pour personne. Comme je te l'ai dit, au début du moins, je lui ai fait confiance. Je lui ai même laissé du temps.
Les traits de Nasuada se raidirent.
-Mais le temps s'égrainant et à mesure que mon impatience augmentait, il est devenu de plus en plus réticent à me faire des rapports de son travail. Jusqu'à ce que je n'aie plus de nouvelles depuis maintenant cinq ans. Je pensais qu'il reviendrait... Il a du parvenir à ses fins... d'une manière ou d'une autre.
Elle prit soudain les mains de l'elfe.
-Arya, pardonne moi. J'ai fait une énorme erreur.
-Je vais m'occuper de tout ça, ne t'inquiète pas, la rassura l'elfe, dont l'inquiétude grandissait néanmoins d'une façon alarmante.
-Le plus dur dans tout ça, c'est d'avoir échoué, lui confia la reine, je n'ai jamais eu aussi peur de la mort, tu sais, que depuis le moment où j'ai su que j'avais failli à mon devoir...
Elle se tordit soudain, une toux plus violente que la précédente la forçant à se plier en deux.
Après plusieurs minutes où elle pu reprendre difficilement sa respiration, elle lui susurra d'une voix rauque:
-Arya, je sais que c'est la fin. Tu dois trouver Eragon.
À ce nom, la reine des elfes sentit son cœur se serrer.
-Lui seul peut nous sauver... Il l'a déjà fait, dit-elle enfin dans un murmure infime, et avec... ton aide...
Nasuada s'interrompit soudain, et Arya, dont elle tenait toujours les mains, les sentit se raidir brusquement.
-Sé mor'ranr ono finna, murmura l'elfe, puisses-tu trouver la paix. Elle lui ferma les paupières. Nasuada n'était plus.
Elle resta une minute à la contempler, se remémorant tous les bons moments passés avec elle.

Soudain, un cri lointain parvint à ses oreilles, suivi de bruits de lutte.
« ARYA ! Il est revenu ! » l'avertit Fírnen, paniqué.

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Voilà, c'est assez triste tout ça mais j'espère que ça vous a plus quand même !
Encore une fois les bases de l'histoire commencent à être posées ça ne va pas tarder à démarrer vraiment !
Je sort le deuxième chapitre (ou le 3 c'est comme vous voulez 😅) en même temps comme ça vous avez la suite direct !

Alors à très vite et n'hésitez pas comme d'habitude à me dire ce que vous en avez pensé !

Eragon, Tome 5 : Le peuple GrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant