Chapitre 11.

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Lorsque les premières gouttes tombent et que le vent se lève, les marins s'agitent. Les ordres fusent tandis que tous se préparent pour la tempête qui s'annonce. Je n'ai jamais assisté à une telle chose. Après le silence et le calme de ces dernières années, la frénésie qui s'empare d'un équipage à l'approche d'un cyclone est impressionnante. D'ordinaire, je préfère me tenir à l'écart des marins. Les protections du navire que je maintiens depuis une semaine usent un peu de mon énergie et je suis toujours habituée à la tranquillité de mon île. Je ne parle réellement qu'à Ulysse ou n'échange quelques piques qu'avec Euryloque. Sans oublier Lore.

Un moment, j'envisage d'aller dormir quelques instants de manière à prévenir l'oneiroi de ce qui se prépare. Mais lorsque les vagues commencent à se faire de plus en plus grandes, j'abandonne ce projet et me précipite sur le pont. Le vent soulève le bas de mon chiton et mon voile que je plaque avec difficulté sur mes cheveux. Les marins rament à grand bruit, luttant déjà contre les éléments. Ulysse passe à côté de moi et je l'intercepte d'une main sur son bras. Surpris, il souffle :

« Si tu as un quelconque moyen magique pour nous permettre d'éviter le naufrage, je te prie de bien vouloir l'utiliser.

- Tu doutes encore de ma puissance ?

- C'est le moment d'en faire étalage, Circé.

J'acquiesce.

Soudain, un éclair déchire le ciel et le tonnerre gronde, à en faire trembler les cieux et la mer. Le héros retourne à son poste tandis que je m'avance sur la proue. La pluie se fait de plus en plus forte, les vagues roulent avec fureur. Et c'est là que je le vois. L'œil du cyclone.

Petite, les orages me terrifiaient. J'étais fille du soleil, or, lorsque les grands nuages le dissimulaient pour faire pleurer un ciel enragé, je craignais que celui-ci ne cesse jamais de déversé des torrents d'eaux et inonderaient le monde. Les histoires du déluge m'avaient quelque peu éprouvée. Depuis j'ai grandi. J'ai affronté de nombreuses tempêtes et je ne crains plus l'orage. Pourtant, aujourd'hui, le même frisson d'appréhension qui me parcourait jadis glace mon échine.

Les enfers se déchaînent sur nous et je chancèle. C'est à mon tour de jouer. Je puise au plus profond de moi-même la force nécessaire. Tous mes pouvoirs magiques y passent tandis que j'essaie de stabiliser le navire et d'atténuer les effets du cyclone sur celui-ci. Il tangue violemment mais reste droit. Je m'agrippe avec difficulté au bastingage, plissant les yeux pour essayer de voir à travers la tempête. Les cris des hommes emplissent l'air, assourdis parfois par un violent coup de tonnerre. Les éléments sont en furies autour de nous.

Je crois apercevoir à mes côtés Dareios, l'adolescent qui m'a qualifiée de vieille sorcière. Mais l'instant d'après il disparait, sûrement emporté par le vent. De la nourriture pour les requins ! Comme tous les mortels ici si nous ne sortons pas de fichu cyclone. Une vague se fracasse contre le pont et je me retrouve trempée. La pluie tombe si fort que j'en ai presque mal et je peine à garder les yeux ouverts.

Je ne sais plus combien de temps s'est déroulé depuis le début de cette tempête... Peut-être presque une heure, je suis restée ainsi agrippée au bastingage, à lancer tous les sors possibles au monde pour ne pas nous faire renverser par une vague. Je suis trempée jusqu'aux os, gelée, et ma gorge me brûle. Je n'ose même pas imaginer l'état des simples mortels qui m'accompagnent.

Soudain un éclair déchire à nouveau les airs, illuminant le paysage de sa lumière électrique. J'écarquille les yeux à la vue des récifs qui se dressent en barrière de notre route. Si la coque se cogne contre ces derniers, c'en est fini de la Trière de guerre et de son équipage. Le capitaine de ce bateau doit en avoir conscience. Pour la première fois depuis le début de cette tempête, je me tourne vers lui.

Circé (Mélusine HS.2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant