Chapitre 17.

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Un nouveau bâillement m'échappe et mes paupières se font plus lourdes. Tous mes muscles me font mal. Quittant la proue, je décide de rejoindre la cabine qui m'est réservée – qui était celle d'Euryloque avant que je ne l'en dépossède. Grâce à mes pouvoirs je l'ai aménagée à ma guise, faisant apparaître draps orientaux et soierie. Mais ça n'a plus aucune importance, cette nuit. Je n'ai plus la moindre force. Je n'ai qu'une envie, fermer les yeux et rejoindre Lore. Taquiner l'oneiroi comme à mon habitude et l'embrasser me semble être la meilleure perspective d'avenir que je n'ai jamais eu. Évidemment qu'elle s'inquiètera. Et évidemment que je me moquerai d'elle.

Entre les différentes rangées de marins qui rament, presque silencieusement, je n'ai pas la force de répondre à une moquerie de Dareios. Mentalement, je me promets de lui faire passer l'envie de tourner en dérisoire une puissante enchanteresse le lendemain. Pour le moment, je n'ai qu'un objectif : céder enfin au sommeil. C'était sans compter sur Ulysse qui quitte sa cabine. Il semble être un peu moins perdu dans ses pensées que tout à l'heure. Son regard se fait interrogateur lorsqu'il se pose sur moi.

« Chronos est parti. je me contente de lâcher pour toute réponse.

Le héros fronce des sourcils, passant une main dans ses boucles châtain.

- Je suppose qu'il a fait ce que nous attendions de lui...

- Oui. Je dois le reconnaître, tu as vraiment eu une bonne idée en proposant de trouver une entité.

- Ca ne semble cependant pas t'enchanter.

Un rictus tord mes lèvres lorsque je murmure, plus pour moi-même que pour lui.

- Toute magie a un prix.

Mes paroles semblent plonger mon interlocuteur dans une profonde réflexion. Je le dévisage quelques instants avant bâiller à nouveau. Je me crispe un instant avant de secouer la tête. Il ne faudrait pas que je perde connaissance maintenant.

- Je me retire. Il faut dormir pour être puissante.

- Bonne nuit Circé. » répond-il sobrement, me gratifiant d'un signe de la tête.

Je lui rends son signe, m'éloignant de lui pour rejoindre ma cabine. Sitôt la porte fermée derrière moi, je m'y adosse, prenant une grande inspiration. Il faut que je me reprenne.

Mais pas tout de suite. Il faut que je me repose d'abord.

Ôtant ma tiare d'or et dénouant me tresses, je me laisse tomber sur mon lit de fortune. Mon corps ne me porte plus et déjà mon esprit s'embrume. Mes paupières lourdes finissent par s'abaisser, me plongeant dans une obscurité bienvenue. Petit à petit, je sombre dans l'inconscience, les mots clé, entité, prison ou encore mission flottant à la lisière de mon esprit à moitié endormi. Je n'ai plus la force de lutter contre l'inquiétude qui gronde au fond de mon cœur. Au bout d'un certain temps, le sommeil finit tout de même par m'emporter loin de la réalité et de ses soucis.

*

La forêt des songes semble bien silencieuse aujourd'hui. Evitant d'écraser les petites fleurs bleues – si ce n'était pas la couleur préférée de la maîtresse des lieux, je ne me donnerai pas cette peine – je m'approche d'un immense sapin dont les branches basses forment une sorte de toit au-dessus d'un tapis de mousse. Le parfum des aiguilles embaume l'air. Je n'y suis plus vraiment habituée après des jours et des jours sur les mers, à ne sentir que les effluves iodées apportées par le vent et l'odeur des hommes dont les efforts pour manœuvrer le bateau méritent un tout petit minimum de reconnaissance.

Je ne suis pas une créature des mers. Ni même réellement de la Terre profonde bien que j'y sois à l'aise et y évolue depuis trop longtemps. J'ai, de toute façon, toujours préféré la Terre à la Mer. Mais plus que tout, je suis une fille du ciel, une fille du soleil. Descendante des dieux qui règnent dans les cieux, je ne me suis jamais sentie vraiment à ma place que lorsque je me trouvais dans les airs, ou au plus près, là où Terre et Ciel se confondent. Les sommets, les hauteurs sont mes royaumes.

Circé (Mélusine HS.2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant