Chapitre 4.

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Un cadavre dans ma chambre. J'ai connue de meilleures situations, à vraie dire...

Cependant, ce qu'implique la présence de ce cadavre est de bien plus mauvais augure. Si les dieux m'ont envoyé un assassin c'est qu'ils se méfient de moi. Toutefois, je me suis tenue plus ou moins tranquille ces derniers temps... Je n'ai fait aucune provocation ouverte, je n'ai défié personne et je n'ai insulté aucune divinité. Ou tout du moins, à voix haute... Et à ce que je sache, lire dans les pensées n'est pas un pouvoir courant chez les maîtres de l'Olympe et tous leurs subalternes. Il y a vraiment quelque chose qui cloche dans cette histoire. Il me manque une information... Une donnée qui me permettrait de comprendre cette tentative d'assassinat – qui ne serait pas démérité cependant.

Je me laisse glisser au bas du lit avant de ramasser mon voile d'or et de le nouer autour de mes épaules. Mon chiton est tout froissé et taché de sang. Je soupire : et voilà, lorsque les dieux s'en mêlent, le sang coule à flot. Je jette un regard en coin au corps étendu en travers de mon lit. Je m'apprête à siffler mes prédateurs pour qu'ils viennent m'en débarrasser.

J'hésite cependant. Étrangement, voir les traits fiers de cet homme déchirés par les crocs de mes bêtes ne m'enchante pas vraiment. Ce marin est beau, plus que la plupart de ceux qui se sont échoués sur mes rivages. Il possède – ou plutôt possédait un air de noblesse rare et un courage surprenant. L'idée de réduire à néant toutes traces de ce courage provoque en moins une certaine réticence.

Je me rends soudain compte de ce que je raconte. Par toutes les tromperies de Zeus ! Je ne vais pas m'attendrir pour un assassin envoyé par ces chiens de dieux pour m'égorger !

Reprends-toi Circé !

Je me mets à faire les cent pas, la fureur et la frustration montant en moi. Je ne suis pas dans mon état normal et je ne saurais m'expliquer cette soudaine tourmente. Je me tords les poignets et les doigts sans faire attention aux craquements que cela produit. Je crois qu'une gorgée de mon fameux nectar ne serait pas de trop pour me permettre de décompresser par rapport à cette situation insolite. Vraiment, cet inconnu aurait mieux fait de ne jamais débarquer sur mon île.

Saisissant une carafe en cristal qui trône sur un des meubles de ma grande chambre, j'embrasse la pièce du regard en avalant à grande gorgée le liquide ambrée. La pièce, vaste et luxueuse, est plongée dans la pénombre grâce à de grands et lourds rideaux. Verts. Encore et toujours. D'un certain côté, cet hermétisme au soleil n'est qu'une provocation de plus envers Hélios. Ma chambre est le lieu de tous mes secrets. Qu'il admire mes crimes s'il le désire, il n'aura pas accès à mes mystères.

Peu à peu, mon calme et ma maîtrise reviennent et je soupir de soulagement en reprenant pleinement possession de mes moyens. Encore un peu et j'aurais éprouvé du regret pour avoir tué cet assassin.

Un ricanement amer m'échappe tandis que je siffle pour appeler mes bêtes sauvages. Ils ont été très obéissants ces derniers temps, il est temps de les récompenser ! Dans l'encadrement de la porte, la silhouette d'un tigre se découpe. La voix rauque, alors que je m'appuie contre mon meuble, je souffle, furieuse contre l'amertume que je ressens à ce moment même :

« À table mon chaton !

Le félin s'approche de l'homme. Mais soudain, alors que je m'attends à ce qu'il le tire de mon lit pour l'emmener ailleurs, il se fige et tourne vers moi de grands yeux surpris. Curieuse, je quitte ma place pour m'approcher à mon tour du marin.

Je crois être victime d'une hallucination à la vue de ses yeux fermés alors qu'ils étaient ouverts quand j'ai quitté le lit. Et lorsqu'il lève brusquement les paupières, reprenant une profonde inspiration, je bondis en arrière. Le brun se redresse vivement, une lueur de panique dans le regard tandis que son regard éberlué se balade sur la pièce, me dévisageant avec horreur. Un juron m'échappe :

Circé (Mélusine HS.2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant