Ma magie me lâche quelques mètres au-dessus du pont. Nos ailes et nos plumes disparaissent, laissant nos corps humains choir sur les lourdes planches de bois et je n'ai pas le temps d'amortir la chute. Le choc est brutal et je roule entre les bancs des rameurs. Les hommes bondissent sur leurs pieds, surpris.
Avec difficulté, je me relève, chancelante. Tout mon corps me fait mal et je peine à tenir debout. Face à tous ces regards stupéfaits qui me dévisagent, comme s'il se mettait à pleuvoir des hommes - ce qui est, je le concède, le cas - la hargne me gagne et je crache malgré la douleur :
« Qu'attendez-vous pour vous éloigner le plus possible de cette foutue île ? Que les dieux nous tombent à nouveau dessus ?
Claudiquant, je m'éloigne, mon regard parcourant le navire à la recherche d'Ulysse. Je le trouve près de la barre. Il est étendu au sol, une mare de sang s'écoulant de son bras. Je me laisse tomber à genoux et me penche au-dessus de lui. Son visage est tordu par la souffrance et je distingue une des flèches de la déesse qui a dû atteindre son aile en plein vol puisqu'elle se trouve à présent figée dans son biceps. Ses yeux écarquillés sont perdus sur le ciel et sa poitrine se soulève difficilement au rythme de sa respiration. Tapotant ses joues, je m'enquiers :
- Encore vivant, bel héro ?
Il grommelle deux trois mots que je ne comprends pas. Je hausse un sourcil pour le lui signaler et il finit par se redresser. Grognant de douleur, il rétorque :
- On dirait bien.
- Tu as continué à voler malgré la flèche dans ton aile ?
- Ce n'est pas comme... comme si j'avais le choix...
Sa voix est étouffée et sa respiration, hachée par ses râles. Lorsque j'effleure du bout des doigts la pointe d'argent qui traverse ses chairs, il tressaille violemment et me jette un regard sombre, comme si j'avais fait exprès. Je n'y suis pour rien. Le projectile a été enduit d'une magie vénéneuse qui le vide de son énergie, provoquant de violentes douleurs. D'un ton neutre en apparence qui dissimule mon soulagement à l'idée qu'il ne l'ait pas prise en plein cœur, je constate :
- Tu as de la chance d'être un héros. Sans ta grande résistance et ta capacité à guérir vite, cette flèche t'aurait tué.
- Et comment... Comment la retirer ?
Je relève le menton, presque orgueilleuse, avant de murmurer :
- Heureusement pour toi, tu as une enchanteresse à bord de ton navire.
Ses yeux d'un gris si profond me dévisagent avant de s'assombrir. D'une voix si basse que ses mots auraient pu m'échapper, il remarque, culpabilisant :
- Mes hommes n'ont pas eu ma chance.
Je ne réponds rien. Le sang qui tâche encore mes vêtements suffit à me le rappeler. Personne n'aurait pu prévoir ce qui allait se passer, pas même Ulysse et sa ruse légendaire. Ce piège était trop bien mené. Sans mon pressentiment et Dareios, nous n'aurions pas pu y échapper. Soudain je me raidis, mon esprit réagissant au quart de tour en se souvenant du blondinet. Je me relève et balaye du regard le pont de la Trière.
- Où est Dareios ? je tonne.
- Là, m'dame !
Je me tourne vers l'adolescent dont la tignasse blonde est emmêlée qui se tient dans un coin, l'air essoufflé. Pour une fois, je ne ressens aucune envie de me moquer de lui. Sans lui, nous serions morts. Et bordel de diable ! je suis rassurée de voir qu'il n'a rien et qu'il a pu transmettre mon message pour faire partir le bateau. D'une voix anormalement douce, je lâche, presque à contrecœur :

VOUS LISEZ
Circé (Mélusine HS.2)
Paranormal- Ce livre est un hors-série de la trilogie Melusine. Il est très fortement conseillé d'avoir lu la trilogie auparavant (risque de spoil) mais cette histoire peut être lue indépendamment puisqu'elle se déroule avant. - "Toute magie a un prix..." La...