Chapitre 12.

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Nous faisons tous des erreurs. Parfois, elles ont si tragiques qu'elles impactent le monde d'une façon irrémédiable. On regrette alors terriblement. On espère qu'on s'en sortira tout de même. On s'imagine ce qui aurait pu arriver si l'on n'avait pas commis ces mêmes erreurs. Si Paris n'avait pas choisi Aphrodite plutôt que ses concurrentes, jamais sa cité n'aurait été détruite. Si Ulysse n'avait pas quitté sa famille pour une guerre qui en réalité ne le concernait pas, jamais il ne se serait retrouvé dans cette situation. Si je n'avais pas couché avec Poséidon il y a longtemps, jamais je n'aurais eu à me tenir face à lui aujourd'hui, avec toute l'assurance inhérente à ma condition de fille de divinités.

Je ne regrette pas mon aventure avec le dieu des mers. Car à présent que nous nous toisons, j'ai toutes les cartes en main pour ne pas avoir à courber la tête.

Le vent est tombé il y a quelques instants, nous immobilisant au beau milieu de nulle part. C'est alors que l'eau s'est mise à s'agiter autour de nous dans un tourbillon furieux pour laisser jaillir des flots la silhouette majestueuse du dieu des mers. Bien que sous sa forme primaire, Poséidon est un être remarquable. Son corps entièrement constitué d'eau est plus grand que le navire lui-même. L'ondée aquatique a conservé la beauté des traits de son visage, orné de ses deux yeux d'un bleu renversant. Leur intensité est telle qu'il pourrait annihiler la volonté de qui que ce soit, rien qu'en le fusillant du regard. Ses cheveux tombent sur ses épaules en vagues argentés, surmonté d'une couronne, elle-même en argent. Dans ses immenses mains, il tient son trident pointé vers nous, comme s'il s'apprêtait à nous frapper de sa colère divine.

Mon sang se glace dans mes veines à sa vue et je dois maîtriser un mouvement de recul. Tout dans son être laisse entrevoir sa dangerosité et son aura envahi l'air, impératrice. Je retiens un instant mon souffle tandis que derrière moi, tous les marins s'agenouillent, pétrifiés de terreur. Seul Ulysse reste debout, figé d'effroi à la vue de cette divinité qui gronde d'une voix caverneuse qui fait trembler la Trière tout entier :

« Pensais-tu réellement pouvoir dissimuler tes amis à moi, magicienne ?

Malgré toutes mes velléités de rébellion, je ne peux m'empêcher d'incliner la tête pour le saluer. Poséidon reste l'un des êtres les plus puissants de ce monde. Ce serait une erreur de le sous-estimer. Surtout dans le contexte actuel.

- Honnêtement, j'y serais parvenue sans cette tempête. Cela fait des semaines que nous naviguons sans que tu ne t'en sois aperçu.

Le dieu éclate de rire, un rire qui secoue la mer et qui aurait pu pétrifier de terreur Medusa elle-même. Soudain, il esquisse un geste du poignet, reprenant une forme plus humaine, diminuant sa taille et délaissant l'eau qui le constituait pour devenir chairs et os, à défaut de sang. Les eaux s'élèvent formant un siège sur lequel s'adosse royalement un homme mur et fier.

- Alors Circé, es-tu si désespérée que tu t'allies avec ce maudit Ulysse dans l'espoir de quitter l'ennui de ton île ?

- Vous les premiers me l'avez envoyé. Avec pour mission de me trancher la gorge durant mon sommeil. C'est terriblement inconvenant et malpoli ! Que faites-vous donc des règles de l'hospitalité ?

Poséidon plisse des yeux et une lueur mauvaise s'allume dans son regard. Relevant le menton, il ricane :

- Ne parle pas des règles d'hospitalité, toi qui les bafoue en transformant ceux qui viennent quémander ton aide en animaux. Regarde toi : tu étais en exile, réduite à avoir pour seule compagnie quelques porcs décharnés.

Je hausse des épaules et réplique, toujours dans ce ton empreint de fausse humilité, dissimulant du mieux que je le peux mon appréhension.

- Moi, les porcs, toi, les poissons... Chacun trouve son compte dans la faune de ce beau monde.

Circé (Mélusine HS.2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant