Circé (Mélusine HS.2)

Chapitre 22.

Je me suis endormie après ma nuit avec Ulysse. C'est ce qui explique ma présence dans le monde onirique. Je suis tendue. Je ne voulais pas affronter Lore et sa probable trahison si vite. Je suis mélangée, perdue. Les révélations et les informations me sont tombées dessus avec trop de force et de précipitations. J'ai perdu tout sens du jugement et je ne me sens plus capable de me fier à personne.

Alors, lorsque Lore arrive, toujours aussi belle, toujours aussi divine, j'ai l'impression de ne rien ressentir. D'être vide. La joie sur son visage ne m'atteint pas et encore moins sa voix mélodieuse lorsqu'elle s'exclame :

« Te voilà !

Mais tandis que la possible traîtresse s'avance vers moi, je recule d'un pas, levant les bras pour lui intimer de rester où elle est. L'incompréhension et la douleur marque son expression.

- Pourquoi un tel rejet, Circé ?

- Ne t'en doutes-tu pas ?

Elle secoue négativement la tête, l'air perdue. Soit c'est une excellente comédienne, soit elle est sincère. Malheureusement, je ne suis plus sûre de rien, pas même de l'oneiroi, et ça me rend folle.

- Aujourd'hui, nous avons accosté sur une île dans le but de nous ravitailler et peut-être de prendre une pause. Malheureusement nous étions attendus sur l'île. Les dieux étaient là. Arès a tué deux des hommes d'Ulysse. J'ai réussi à nous protéger. Après une discussion houleuse et grâce à la ruse du héros, nous avons pu nous échapper par la voie des airs, sous une volée de flèche tirée par Athéna.

Je m'arrête un instant, tandis qu'elle reste silencieuse, les sourcils froncés. Plus je me trouve face à elle, moins le doute qui s'est emparé de moi au cœur de l'action, lorsque le monde semblait s'effondrer autour de moi, persiste. Mais je dois en avoir le cœur net. Je dois avoir la confirmation que les dieux mentaient, que le seul être ayant une importance pour moi en ce monde ne m'a pas trahie, comme absolument tous les autres.

- Il se trouve que nous aurions peut-être été trahis. Qu'en penses-tu, Lorette-chérie ?

Elle se raidit, ses poings se serrant. Elle a compris le sous-entendu. Elle a saisis l'accusation sous-jacente. L'effroi qui traverse ses prunelles noires à cet instant me fait vaciller un instant. Lorsqu'elle proteste, sa voix flanche et déjà, je sais que ce n'est pas elle.

- Tu penses que je t'ai trahie, Circé ?

Le désespoir sur son visage ressemble un peu trop à celui que j'ai lu chez Ulysse et que j'ai moi-même ressenti. Je grimace, croisant les bras sous ma poitrine pour ne pas perdre la face, face à mon amante gagnée petit à petit par la colère.

- C'est ce qu'ont dit les dieux.

- Tu as cru les dieux ? souffle la jeune femme.

Son regard sombre me dévisage, marqué par la stupeur et la déception. Une déception qui me laisse un goût amer.

- Comment ne pas les croire sous les feux de l'action ? Personne n'était au courant pour toi et moi. Et personne ne savait non plus où nous allions, pas même nous. Le bateau d'Ulysse est protégé par un sortilège qui le rend invisible aux yeux des dieux. Ce sortilège me mange toute mon énergie mais il fonctionne.

- Eros a la capacité de deviner lorsque deux êtres s'aiment, rétorque-t-elle. Il peut lire ces choses-là. De plus, les dieux ont très bien pu déceler votre présence après votre arrivée sur l'île... Et ils savent fort bien qu'ôter l'espoir est le meilleur moyen d'affaiblir ses adversaires.