Chapitre 20.

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Face à la mort imminente, certains disent penser aux êtres aimés, au moment de pur bonheur. D'autres prétendent avoir vu leur vie défiler devant leurs yeux. D'autres encore prétendent se remémorer de tous leurs péchés et leurs regrets avant de rejoindre le royaume d'Hadès. Encore faudrait-il pour cela voir la mort arriver. Étrangement, face à ma fin certaine, puisqu'il est assuré que les dieux ne me laisseront pas quitter cette île vivante, la seule chose qui obsède mon esprit n'a rien à voir avec l'être que je chéris le plus, ma vie ou bien mes regrets : je ne pense qu'à tenir sur mes deux jambes avec le plus de dignité possible. Tout le reste a disparu.

Gonflant mes poumons d'air, je relève le menton, refusant de plier face aux dieux que je détaille, sur mes gardes.

Je reconnais les jumeaux Apollon et Artémis. Ils se ressemblent comme deux gouttes d'eau bien que le premier ait les cheveux d'or tandis que sa sœur les a aussi argentés que le clair de lune. À leur côté, un trio des plus insolites se dresse. La tension entre les trois divinités n'échappe à personne : la femme, d'une beauté imparable, se trouve prise entre un homme fort, dont le visage est à moitié mangé par une barbe brune lui donnant l'aspect d'un ours et un dieu, beau à s'en damner mais dont les traits n'inspirent que violence. Aphrodite, Héphaïstos et Arès. Ce dernier est le responsable de l'attaque ayant coûté la vie aux deux mortels qui nous accompagnaient. Je grimace à sa vue, me tendant encore plus si cela est possible. La puissance mortelle du dieu de la guerre n'est plus à prouver et le bas de ma robe, tâchée du sang de ses victimes me le rappelle.

Une femme, portant un heaume d'or sur sa chevelure cuivrée ne fait pas attention à moi, observant Ulysse qui reconnait en elle sa protectrice... Athéna. À côté d'elle, un bel homme, dont le charme surpasse ceux de tous ici à l'exception de celui d'Aphrodite semble ennuyé par la situation, ses yeux d'un vert émeraude profond fuyant ailleurs, comme s'il était perdu dans ses pensées. Pourtant son aura de dieu de l'amour primordial s'étend dans les airs et je me prends à regretter d'être également attirée par les hommes. Eros n'aurait pas cet effet là sur moi, sans cela.

Trois d'entre eux se détachent parmi cette petite troupe. Il y a bien évidemment Poséidon. Mais ceux qui règnent sur cette divine compagnie se démarquent de par leur aspect. Tout d'or et de puissance : Zeus et Héra se distinguent grâce aux couronnes d'or qui reposent sur leur front. Face à tous ses regards divins et sévères posé sur nous, je me sens, pour la première fois, presque intimidée. Mon cœur bat à une allure folle au creux de ma poitrine et la magie vibre en moi, me faisant trembler dans je brûle de l'utiliser pour m'échapper. Le silence qui plane est si étouffant que j'ai l'impression de manquer d'air.

Athéna s'avance d'un pas et murmure, d'un ton sage, à l'intention du héros qui s'est relevé et se tient maintenant à mes côtés :

« Abandonne cette quête folle, mon protégé. Tu es un homme sage et juste. Je saurais te pardonner de t'être perdu !

Je ne me tourne pas vers mon compagnon, attendant simplement sa réponse. Tout homme censé accepterait aussitôt cette proposition de pardon divin. Défier les dieux à ce moment-là serait pure folie. Or, comme vient de le faire remarquer la déesse, Ulysse est tout sauf fou. Pourtant, un soulagement incongru m'envahit lorsque je l'entends rétorquer de son ton posé :

- Serais-je encore cet homme sage et juste si je vous laissais mettre à exécution votre plan ?

Je ne sais si c'est du courage ou de la bêtise dont il fait preuve mais pour la première fois, j'admire réellement le vainqueur de Troie pour sa détermination. La déesse se rembrunit. Mais alors qu'elle allait ajouter quelque chose, Zeus l'interrompt de sa voix caverneuse, aussi grave que le coup de tonnerre :

- Recule Athéna. Il a refusé, son destin est scellé.

Puis son intention se reporte vers moi. La sévérité dont fait preuve le roi de l'Olympe n'a rien à voir avec l'orgueil de Poséidon ou la ferveur d'Hadès – qui n'est d'ailleurs pas présent, sûrement encore aux enfers aux côtés de son aimée. L'aura de Zeus est glaçante, tout simplement parce qu'elle laisse échapper une puissance pétrifiante. Si l'envie lui prenait, il pourrait me foudroyer à l'instant sans que je ne puisse réagir. Lorsqu'il reprend la parole, tout son être et sa cruelle force sont tournés vers moi.

Circé (Mélusine HS.2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant