Chapitre 12

147 32 12
                                    

Je me lève quand Léo-Paul se précipite sur moi d'un élan enragé. Sans transition, il me balance une bonne droite dans le visage.

J'entends à peine le cri de Samuel et ses imprécations.

Je fais de la boxe thaï depuis dix ans, j'aurais pu le bloquer. Mais je ne sais pas, je crois que j'avais envie de me la manger celle-là.

Je me tâte la mâchoire avec précaution. Il a une bonne droite mais j'en ai vu d'autres.

Léo s'avance pour pousser son avantage. Pas deux fois ! Je lui bloque la tête avec les mains et je riposte d'un coup de genoux sec dans le plexus, qui lui coupe le souffle.

Il parvient à se dégager et fonce sur moi comme un ours furieux.

Il m'attrape au col et je l'agrippe aussi pour le repousser. Mais, dans un même élan, il ramasse le torse, raidit le cou et les épaules, et me balance son front dans le visage avec une puissance explosive.

Je m'écroule de trois mètres en arrière et, merde, ça fait mal. Je sens que je saigne du nez et que ça va devenir méchant.

Léo n'a pas l'air de vouloir s'en tenir là. Dommage pour la discussion raisonnable les yeux dans les yeux.

Je regarde rapidement autour de moi et j'attrape une batte de baseball qui traine près du canapé.

Je fais quelques moulinets qui le contraignent à reculer, mais je vois bien qu'il cherche un angle d'attaque.

Je vois rouge. Parce qu'il est assez con pour chercher une ouverture alors que je le menace avec une batte en bois. Et parce que je suis en train de goûter à mon propre sang qui me coule dans la gorge.

Je disjoncte et prends mon élan, au moment il bondit aussi.

- PUTAIN, ARRÊTEZ TOUT DE SUITE OU JE VOUS BOTTE LE CUL !

La beuglante nous bloque net dans notre envol.

On se tourne vers Samuel, stupéfaits. Il est debout sur le canapé, avec un air sauvage et furieux. Puis il se rend compte qu'il vient de s'exprimer d'une seule traite. Il a un petit geste en pointant sa bouche et une exclamation rigolote et un peu incrédule.

- Oooohhh !

Son air ébahi est tellement irrésistible que Léo et moi, on éclate d'un même rire.

- Mais tu parles, alors ? demande Léo, sur un ton ironique.

- Co...con...nard ! B...bien sûr, j...je...pa...parl...e !

Léo lui tend son poing fermé pour un check affectueux, avec un petit clin d'œil.

- Ben si j'avais su ça... Je te mettrai en colère plus souvent !

Il se retourne vers moi. On se toise avec un peu d'hésitation. Le feu est retombé mais on est encore hérissés. Ça aurait pu franchement déraper.

Léo montre l'arme que je tiens encore dans la main.

- T'allais vraiment me foutre un coup de batte ?

Je prends conscience de la disproportion de mon geste et je balance le bâton dans un coin du grenier, un peu honteux.

Il reprend impitoyablement.

- T'es un yakuza ? Comme dans les mangas japonais ?

Avant de conclure.

- On est en France ici mon vieux. Quand on se bat, ça reste civilisé.

Je grimace en me frottant le nez.

- Et le coup de boule, tu trouves ça civilisé ?

- Depuis Zidane en 2006, les français ont le droit !

Je ne peux pas m'empêcher de sourire devant cette tranquille répartie. Les images du footballeur français, dans le match contre l'Italie, ont fait le tour du monde jusqu'en Corée. Léo observe mon nez tuméfié, puis secoue la tête comme pour chasser de sombres pensées.

- Allez, occupe-toi de lui, Sam. Je reviens...

Il quitte la pièce pendant que Samuel m'entraine dans la salle de bain du grenier. Les parents ont mis l'armoire à pharmacie à cet étage, avec les compresses et le désinfectant, parce que c'est là qu'elle servait le plus. Samuel connait bien la maison et attrape ce qu'il faut pour me nettoyer.

- V...vous êtes vrai...vrai...ment c...cons tous les d...deux !

- T'es impressionnant quand tu te mets en colère, tu sais. Ça nous a stoppé net.

- Ta...ta g...gueule ou j... je te net...t...toie à l'al...cool à quat...tre vingt dix !

Il me palpe le nez délicatement, et ses doigts légers sur mon visage me rappellent un autre papillon, sous un cerisier.

- C'est p...pas ca...ca...ssé, il conclut sur un ton satisfait.

Je finis traité et désinfecté, avec un ridicule morceau de coton dans la narine droite. Samuel vérifie son travail d'un air très professionnel.

- French Doctors, je murmure en faisant allusion à l'organisation française qui envoie des médecins un peu partout pour des causes humanitaires.

Il lève les yeux au ciel, mais me sourit adorablement. C'est la meilleure façon de m'aider à guérir.

Léo est revenu dans le grenier, avec trois bières fraiches dans les mains.

Samuel gémit.

- A...a on...onze heu...res du mat ? Sé...sérieux ?

L'autre hausse les épaules gaiement.

- On allait quand même pas fêter notre première baston avec des jus détox kiwi-grenadine !

Il ouvre rapidement les bouteilles et on trinque d'abord avec Samuel, qui a un air franchement saoulé de devoir jouer les arbitres et les traits d'union.

On s'observe avec plus d'hésitation, suspendus dans notre élan, nos bouteilles en l'air.

Je sens que c'est à moi de parler. Bien sûr, c'est à moi de parler.

- Désolé Léo... pour Chloé.

- Désolé Jae... pour ton nez, il répond ironiquement.

On trinque et la première gorgée de bière a un goût de réconciliation.

On finit nos boissons autour du babyfoot, à jouer mollement en parlant de tout et de rien.

Mais une question me tourmente, et je finis par la poser dans un blanc de la conversation.

- Comment t'as su, au fait ? Ce matin...

- C'est Chloé qui m'a tout dit.

Je le regarde avec surprise, en lâchant les poignées du babyfoot.

- Quand ça ?

- Elle a déboulé avant l'entrainement. En plein vestiaires, sérieusement, t'imagines le boxon !

Il s'esclaffe, puis reprend son sérieux.

- On s'est parlé pendant une heure, j'ai loupé l'échauffement.

Il ricane.

- Mais je peux te dire qu'après, j'étais tellement énervé que j'ai pilonné trois buts. Trois boulets de canon. On t'aurait mis goal, je pense que je t'arrachais la tête avec le ballon !

Il joint le geste à la parole et plante un but retentissant dans mes cages, sans que j'ai le temps de ramener mon joueur pour le contrer. J'entends la balle se fracasser contre la paroi en bois, puis rouler sourdement dans les entrailles du babyfoot.

Je le regarde fixement.

- Et Chloé ?

Il hausse les épaules, fataliste.

- On va la laisser respirer...

Il ne peut s'empêcher d'ajouter, sur un ton de défi, parce que c'est son caractère.

- Mais j'ai pas dis mon dernier mot !

Je lui réponds en pensée.

- Moi non plus.

L'amour est un drama coréen (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant