Ronsard et la Grenouille #2

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[courte suite au chapitre "Ronsard et la grenouille"]



La silhouette pleure.



Et il pleut de partout. Il pleut sur les pavés comme il pleut sur ses joues.



Je l'entends sangloter et mon cœur se serre avec douleur sans que je ne comprenne pourquoi, inexplicable. Il se serre et s'emmêle, se contorsionne, inextricable. Tout autour, il n'y a plus personne. Personne pour consoler cette silhouette qui a mal. Une abysse. C'est comme si la vie s'était éteinte par ici. Un pressentiment m'enveloppe dans une mollesse presque lourde.



Je m'approche doucement, il s'agit de l'ami guitariste de Vivaldi, celui que j'ai également croisé dans un bus bondé naguère. J'arrive dans son dos mais il ne m'entend pas. M'entend-il seulement quand la pluie bat à torrent autour, de plus en plus agressive ? Je tends le bras, droit devant moi et manque de l'effleurer. Quelques millimètres seulement. Il ne cille pas d'un poil, il est devenu silencieux. Mes chaussures commencent sérieusement à se gorger d'eau. Je plie le coude et mes doigts n'atteignent jamais leur cible, je n'y arrive pas, je suis impuissante. Puis je n'ai pas le droit de m'immiscer dans cette vie tourmentée. Il n'en a peut être pas le besoin.



Une voiture dérape au loin, on entend le crissement du caoutchouc contre le goudron mouillé. Je me prépare à tourner les talons, à tourner le dos face à cet homme mais une force m'en empêche sur le champ. Un fourmillement commence à me titiller l'estomac, à le tordre avec urgence. C'est comme si le nœud dans mon cœur s'enlaçait avec mes intestins. Dans un élan de panique, je vais jusqu'au bout de mon geste et recommence ce qui avait échoué quelques secondes en arrière. J'attrape sa cape et la serre de toutes mes forces dans mon poing. Je serre les dents, me parant à la suite. De l'eau jaillit par gouttelettes du tissu imbibé et dégouline le long de ma main audacieuse.



Un tressaillement, sans brusquerie et la silhouette pivote sur elle-même avec tant de lenteur que j'ai le temps de souffler d'appréhension. Je lève le menton pour lui faire face, trois têtes plus haut. Lui baisse les yeux, rouges et ternes et c'est un voile qui semble disparaître dès l'instant où il m'aperçoit réellement. L'émotion ressurgit, aussi forte que tout à l'heure et les flots débordent de nouveau. Son regard s'accroche au mien et un sanglot le secoue, étranglé. Il n'est pas surpris de me trouver là, bien au contraire. Je ne sais pas ce qui l'habite pour qu'il me confie ses pleurs avec autant de confiance, ni la cause de tout ceci. Ce n'est cependant pas une nécessité de le savoir, apporter un peu de ma présence si.



Inutile d'ouvrir la bouche, certaines choses n'ont simplement pas besoin de mots. Je passe mes bras autour de lui, sans le toucher. J'attends une approbation, je ne peux pas forcer le contact. Il paraît intimidé pendant une fraction de seconde puis je le vois opiner dans une énième saccade. Je le serre alors contre moi. Comme le bout de sa cape, j'y mets toute l'énergie du monde. Toute la volonté, toute ma force. Les mots sont inutiles. Plus rien ne compte. Avec des mouvements incertains, hésitants, il me rend mon geste. Sa tête bascule en avant, sur mon épaule, ses cheveux s'engluent avec les miens. Il pleut sur la ville comme il pleut sur notre étreinte et au bout de plusieurs minutes, il a arrêté de pleuvoir sur ses joues. J'ai absorbé toutes ses larmes.



Nous nous détachons millimètres par millimètres, avec lenteur, avec douceur. Il renifle une dernière fois et essuie son visage. Ses yeux ne me quittent plus et je peux y lire dedans tant de choses que la tête m'en tourne légèrement. De la reconnaissance mais surtout et avant tout un apaisement total. Ça va mieux, ça va beaucoup mieux. Et tout ira de mieux de mieux parce que l'enclume sur tes épaules est tombée. Et comme tu as été brave de la porter sans ciller jusque là. 



Un faisceau lumineux transperce les nuages de coton grisâtres. L'intempérie n'est plus qu'un long compte-goutte tranquille tandis que le ciel fait dérouler sa parabole colorée.



La silhouette esquisse un sourire qui rayonne avec le soleil naissant.




Tout va bien maintenant.




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Tuyau a un peu de temps le soir avant de dormir alors elle continue d'écrire. Puis les personnages lui manquaient. 


Bref, un autre chapitre ( beaucoup plus long ) arrivera dans pas longtemps. 

ℋ𝓪𝓻𝒆𝓶 ℛ𝒆𝓿𝒆𝓻𝓼𝒆 𝓖𝓪𝓶𝒆 ★~ 𝓱𝓪𝓻𝒆𝓶 𝔁 𝓻𝒆𝓪𝓭𝒆𝓻 [=dossier]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant