White Era • kv TOME 3 | Terminé |

Chapitre 46

Quand je pose ma main contre le verre glacé de la fenêtre du salon, le frisson qui me parcourt n'arrive pas une seule seconde à me faire dévier de mes pensées. Mes yeux rivés sur l'extérieur, je m'applique à respirer calmement bien que je sens toute la violence de ma colère monter en moi petit à petit. Mes doigts tremblent d'excitation à l'idée de pouvoir enserrer le cou de Yeosang. J'imagine en boucle le son de sa nuque brisé, un son qui se répercute dans mon esprit comme un écho libérateur. Je soupire doucement de bien être et ferme les yeux. Tout ça sera bientôt fini.

— Tiens.

Derrière moi, Marie me tend une tasse fumante d'une substance inconnue. Mais sans hésiter, je me retourne et la saisis avant de l'apporter à mes lèvres. Je fronce les sourcils ainsi que le nez au contact du liquide amer sur ma langue mais malgré tout, je l'avale en entier. La sorcière avait préparé ce breuvage pour me permettre de tenir le temps de la bataille, je n'allais certainement pas faire la fine bouche. Une fois la tasse vidée, je passe brièvement ma langue entre mes lèvres puis redonne l'objet à Marie avant de tirer sur le col de mon pull. Nous pouvons immédiatement constater la disparition des veines noires à la surface de ma peau.

— C'est parfait, merci.

— Garde en tête que ce n'est que temporaire, d'accord ? Je... Je ne peux pas faire mieux que ça.

— C'est déjà bien assez.

Je lui souris brièvement avant de me retourner une nouvelle fois vers la fenêtre. Rien d'étonnant à ce que le ciel soit encore gris en cette journée qui s'annonce mémorable. En bas, je peux apercevoir les humains braver le froid et le vent hivernal, comme d'habitude. Le monde commence peu à peu à s'habituer à cette catastrophe climatique, signe que cela n'a que trop duré. J'inspire profondément et ferme une nouvelle fois les yeux. Mes muscles se détendent peu à peu. Combien de personnes allons-nous perdre aujourd'hui ? A combien de personnes ai-je parlé pour la dernière fois ?

Il ne faut pas que je me fasse d'illusion: c'était notre dernier combat, la fin de cette guerre qui n'a que trop duré. Et l'on ne ressort pas d'une guerre sans perte. D'un geste lent, je lève mes mains pour passer ma main dans mes cheveux châtains, gardant toujours mes paupières closes. Je trouve une certaine sérénité dans tout ces ténèbres qui s'offrent à moi. Parfois, j'y revoies le visage de Taehyung qui ne fait qu'observer de loin. La deuxième partie de moi-même n'a pour l'instant rien à redire sur mes agissements. Après tout, nous possédons le même objectif.

— Scarlet, tu es prêt ? On doit y aller, m'annonce Marie.

Je retire ma main de mes cheveux, je baisse les bras puis ouvre les yeux. Ca allait commencer. Une fois que j'aurais quitté cet appartement, rien ne sera plus comme avant. Est-ce que je suis prêt à faire face au sacrifice des miens ? A leur perte ? Après tout, on ne peut jamais savoir avant de l'avoir expérimenté. Mais moi je sais. Après avoir perdu mon père, l'homme que je n'ai jamais connu comme je l'aurais voulu, je sais ce que ça fait, que de perdre quelqu'un que l'on aime. Et je ne veux plus jamais revivre ça. Alors j'inspire profondément et me retourne vers Marie, déterminé.

— Je suis prêt.

L'espace d'un instant, la brune sursaute face à mon regard embrasé par une colère sauvage et sourde. Mais elle finit par se reprendre et hoche la tête avant de sortir de l'appartement. Je la suis de près avant de soudainement m'arrêter sur le pas de la porte. Je me retourne et observe le salon en silence. Peut-être est-ce la dernière fois que je vois cet endroit, qui sait. Je pince les lèvres et ferme la porte définitivement.

Quand nous arrivons près du lac, tout le monde est déjà présent. A notre arrivée, la plupart se retournent vers nous : je lis la curiosité, l'excitation, la peur sur de nombreux visages. Mais aucun n'a l'intention de se défiler. Marie retourne rapidement aux côtés de Seojoon qui dépose un simple baiser sur son front avant de me regarder. Il est prêt, comme nous tous. Je regarde alors à ma droite et aperçois Daejung, accompagné de Moïra et Hélène, habillée toujours aussi légèrement. Cette dernière balaye l'assemblée du regard puis reporte son attention sur ma personne.

— Bon... On le fait fondre ce lac ?

Sans un mot, j'hoche la tête et me recule de quelques pas, laissant Marie et Hélène se réunir devant la surface de l'eau gelée. Elles se regardent un instant et entre elles semble se dérouler un dialogue silencieux : un dialogue magique. Finalement, la sorcière de feu se tourne pour faire face au lac. Quant à Marie, elle tend sa main, faisant apparaître le grimoire blanc qu'elle ne quitte plus ces temps-ci. L'ouvrage se pose directement dans sa paume et l'autre vient rapidement s'apposer sur l'épaule d'Hélène qui lui tourne le dos.

— Prête ? demande la plus jeune.

— Toujours.

Marie hoche la tête puis ferme lentement les yeux. Autour des deux sorcières, tout le monde retient son souffle, notamment les loups qui ne sont pas habitués à observer la magie de si près. Je sens également Rosé qui s'agite autour de mon cou. La douce chaleur contre mon sternum m'assure qu'elle est fière de sa petite soeur.

— 'Vi veri veniversum vivus vici.'

Au terme de ses paroles, un pentacle se dessine de lui même dans la neige sous les pieds des deux sorcières tandis qu'Hélène inspire profondément, le souffle tremblant alors que le pouvoir de Marie vient se déverser dans ses veines. Quant elle rouvre les yeux, ils ne sont plus les mêmes. Son pouvoir ardent amplifié par millier, elle est désormais prête à tout faire exploser. D'un geste, j'ordonne à ma meute de reculer, ce qu'elle fait sans discuter.

Un silence s'installe mais tout le monde sent la pression qui augmente un peu plus à chaque seconde. D'une lenteur affolante, Hélène lève sa main vers le lac glacé devant elle puis un sourire amusé vient étirer ses lèvres : car elle sait pertinemment qu'en cet instant, rien ne peut rivaliser avec ses flammes.

— 'Igne natura renovatur integra.'

En un éclair, des flammes dévastatrices s'échappent d'un pentacle rougeâtre apparu devant elle et viennent exploser la surface de l'étendue gelée. La terre sous nos pieds se met à trembler et une vague de chaleur nous frappe au visage, le feu s'élançant encore et toujours plus loin jusqu'à même atteindre les arbres tout autour du lac qui s'effondrent sur eux-même en un fracas mortel, tout cela devant le regard satisfait d'Hélène.

Alors que tout s'écroule, comme si la fin du monde s'apprêtait à frapper, la sorcière se retourne vers moi, ainsi que Marie qui fait disparaître son grimoire avec contentement.

— Je pense qu'il est temps d'aller réchauffer l'atmosphère.