12. Une lueur dans les ténèbres

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Je prends une grande inspiration, et avec des pas légers, presque silencieux, je me dirige vers la salle où il se trouve. En atteignant l'encadrement de la porte, je me rappelle les consignes de la directrice :

Ne pas le regarder dans les yeux. Ne parler que s'il te pose une question. Répondre brièvement. Faire en sorte qu'il adopte un enfant.

Je reste figée sur place, la tête baissée, les yeux rivés au sol, mes doigts se tordant nerveusement.

Il prend alors la parole...

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Point de vue de 61X :

Ce monsieur m'invita alors à entrer dans la salle et à refermer la porte derrière moi. Immédiatement, je sentis ma respiration s'accélérer, accompagnée d'un flot de pensées désordonnées : Et voilà, il va me faire du mal... J'aurais dû faire plus attention ! Quelle idiote de ne pas avoir regardé où j'allais... J'espère qu'il ne sera pas trop violent, parce qu'après, il y aura encore les coups de Madame et des ados... Et il faudra aussi que je sois capable de m'occuper des autres et de mes tâches quotidiennes...

Un raclement de gorge m'interrompit, et mon corps se tendit davantage. La voix de l'homme brisa le silence. Il se présenta :
— Je m'appelle Jake Williams. Et toi, comment t'appelles-tu ?

Je répondis, la voix tremblante :
— Vous pouvez m'appeler comme vous le souhaitez, Monsieur Williams.

À ma grande surprise, il éclata de rire d'une voix grave. Puis il reprit :
— Tu peux me tutoyer et m'appeler Jake.

Je hochai la tête, méfiante. Tout cela ne pouvait être qu'un piège, une ruse pour me mettre en tort. Je savais comment cela se passerait : soit il dirait que je me suis permis un honneur que je ne mérite pas, soit il m'accuserait de manquer de respect. Par réflexe, je continuais à le vouvoyer, comme je l'avais toujours fait avec les adultes puissants.

Sa phrase réveilla alors des souvenirs enfouis, des traumatismes que je n'avais plus revisités depuis longtemps, sauf dans mes cauchemars. Je sentis ma respiration devenir saccadée, ma gorge se serrer et l'air refuser d'entrer. En proie à une crise de panique, mes mains se portèrent à ma gorge, tentant de la "dénouer" en la griffant.

Je l'entendis se lever et s'approcher. Ce mouvement aggrava ma crise, car je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il était comme les autres. Il s'en fiche complètement, il va continuer...

Mais un cri perçant me ramena brutalement à la réalité : celui de la petite de quatre mois. Malgré ma crise, ce son me permit de m'ancrer. Luttant contre mes tremblements, je me dis que je devais écourter cette rencontre pour protéger la petite de Madame. Fixant mes yeux sur les chaussures de M. Williams ou sur la porte, je priai intérieurement qu'il ne me retienne pas trop longtemps.

Il me demanda si ça allait mieux et si j'avais souvent des crises. D'une voix rapide et mécanique, je répondis que j'avais l'habitude et que tout allait bien. Il me proposa alors de visiter son entreprise et d'y emmener les enfants sous la supervision de Madame.

— Les autres aimeraient sûrement y aller aussi, ajoutai-je précipitamment. Nous n'avons jamais eu l'occasion de visiter un lieu comme ça. Les seuls endroits que nous connaissons, ce sont les écoles, le parc, le supermarché, le marché pour nos vêtements, et parfois la foire, pensai-je.

M. Williams acquiesça et dit qu'il allait en informer tout le monde. Il me libéra, et je m'élançai hors de la salle, traversant les escaliers jusqu'à la chambre de la petite.

Ce que je vis me remplit d'horreur. Madame tenait la petite par le poignet, la soulevant brutalement. Avec son autre main, elle leva son bras et s'écria :
— Je vais te donner une vraie raison de pleurer, toi !

Sans réfléchir, j'entrai en trombe dans la chambre et arrachai la petite de ses mains. Madame, furieuse, me fusilla du regard. Les cris de la petite résonnaient encore, mais soudain, la voix de M. Williams appela depuis le rez-de-chaussée :
— Madame la Directrice, pourriez-vous venir un instant ?

D'un geste rapide, elle quitta la pièce, ajustant son masque d'hypocrisie pour se présenter sous son meilleur jour.

Profitant de son départ, je berçai la petite pour la calmer. Elle pleurait encore, mais sentir ma présence l'apaisa un peu.

Elle occupe une place particulière dans mon cœur, comme tous les enfants, mais avec elle, c'est différent. Son histoire m'a profondément marquée : née sous X, elle a d'abord été placée en pouponnière avant d'arriver ici. Selon le carnet qui accompagnait son dossier, elle était un bébé sensible à son environnement, n'aimant ni le bruit ni le contact humain. Elle préférait être emmaillotée dans un tissu doux, dans le silence et l'obscurité.

Quand elle est arrivée, je ne savais pas comment elle réagirait à mon contact. Le premier jour, alors que je la berçais, son petit corps tendu se détendit lentement, et elle laissa échapper un léger son de contentement. À partir de ce moment, nous avons créé une routine. Elle a pris l'habitude de toujours chercher ma proximité.

Malheureusement, elle n'accepte pas encore les autres, enfants ou adultes. Sa tolérance aux bruits s'est un peu améliorée, mais je continue de lui mettre son casque anti-bruit, surtout lorsqu'elle dort ou joue. La lumière ne la dérange pas, sauf si elle est trop forte ou qu'elle est fatiguée.

 La lumière ne la dérange pas, sauf si elle est trop forte ou qu'elle est fatiguée

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J'adore notre relation. Ce lien particulier, ces petits moments où elle cale sa tête dans le creux de mon cou, ou encore sa fascination pour mes cheveux, mes yeux, mes vêtements... même mes hématomes. Je prie pour qu'elle ne comprenne pas encore leur origine. Les bébés ressentent les émotions, je le sais, mais je fais de mon mieux pour porter un masque en leur présence, pour qu'ils restent protégés de mes propres blessures.

Nouvelle vie !Where stories live. Discover now