Prologue

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Elle lui avait donné rendez-vous dans la rue Chloé Collins.

C'était une de ces rues qu'on ne trouvait jamais à la première visite locale, ni à la seconde. Elle se faufilait habilement entre les maisons, comme une souris entre les pattes d'un félin.

En fait, on pouvait habiter ici, et l'éviter toute une vie.

De là, les bâtiments en briques rouges s'élevaient jusqu'au ciel, très, très haut. La lumière ne semblait plus vouloir passer — et en plus, il faisait gris, ce jour-là.

Deux personnes s'y seraient senties à l'étroit. Et toute une famille, n'en parlons pas : les parents auraient dévisagé leurs enfants, se demandant s'ils avaient un jour remarqué qu'ils en avaient autant.

Mais malgré son étroitesse et cet air d'abandon, elle demeurait étonnamment propre, la rue de Chloé Collins. Les pavés, eux-mêmes serrés les uns contre les autres, ne cédaient à aucune mauvaise herbe, à aucun insecte, et semblaient annihiler les déchets. Personne n'en profitait, malheureusement, et pour cause : personne, ici, ne connaissait réellement l'existence de cette rue.

Et c'était pourtant là qu'il avait atterri.

Il avançait prudemment dans la rue, partagé d'intrigue et de surprise, puis s'était posé contre l'une des maisons en brique. Il avait levé le nez vers le ciel orageux, avait soupiré. Ce n'était vraiment ni l'endroit, ni le moment pour un rendez-vous.

Pourtant, elle avait semblé y tenir. Elle l'avait appelé la veille, et même l'avant-veille, pour lui rappeler de se tenir ici, à cette heure précise, sans une once de retard.

Évidemment, il était arrivé trop tôt.

Il espérait qu'elle ne tarderait pas trop.

Il avait ensuite laissé son esprit vagabonder sous ce ciel gris. Il ne savait plus réellement à quoi il avait réfléchi. Des petites réflexions de-ci, de ça, sans jamais prolonger et s'éterniser sur une philosophie et un débat profond avec lui-même.

Puis de lourds pas avaient résonné dans la ruelle. Elle arrivait. Il se détourna au son de ces semelles de plomb, quand elle surgit soudain d'un virage.

Il vit d'abord son visage déconfit. Son visage blanc, une tache dans ce décor gris.

Puis sa main, plaquée contre sa poitrine. Puis sa seconde main, nerveusement entortillée autour d'un cube diaphane.

Et enfin, le sang, le sang qui dévalait et incendiait son tee-shirt.

Pourtant elle avait souri.

« Tu es à l'heure.

— Mais... qu'est-ce que...

— Prends. »

Elle lui tendait le cube. C'était une boîte. Par-dessus, ses phalanges crispées blanchissaient à vue d'œil.

« Mais que...

— Prends.

— Mais enfin, Gretel...

Prends-le, et pars ! »

Ce fut ses derniers mots.

***

Prends-le, Tim.

Goutte à ma personne en buvant quelques gouttes du flacon, et, si tu en es satisfait, prends mon cœur.

Mais décide-toi rapidement. Un cœur ne vit pas éternellement sans un humain pour le contenir. Un mois et demi, tout au plus, pour faire ton choix.

Par CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant