Chapitre 25

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Je finis par rentrer, le sac rempli de ces petites choses indispensables à l'apéritif amical. Je préviens mon père, qui me remercie chaleureusement, mais ses mots gentils ne parviennent pas à m'égayer de mon énorme fatigue.

Je range les nouveaux achats, salue Noah au passage qui est rentré entre temps — avec un cookie dans la bouche, évidemment —, et vais dans ma chambre.

Il est 17h01. Dans une heure moins une minute, je vais à mon rendez-vous.

L'appréhension grandit. J'essaie de me raisonner en me disant que ce n'est pas mon premier rendez-vous, et que ce n'est pas encore le rendez-vous officiel de l'opération. Il n'empêche que je vais officiellement me déclarer, et prendre position dans un choix qui sera éternel — ou du moins, éphémère jusqu'à ma mort.

Je ne peux pas m'empêcher de me remémorer les paroles de Kristof, son visage calme mais si peu serein, me parlant de sa fille. Dans quelques temps, pourrai-je encore lui adresser la parole, planter mes yeux dans les siens sans me sentir atrocement coupable car j'aurai le cœur de son enfant dans la poitrine ?

Quelle drôle de situation...

Je me mords la lèvre, assis sur mon lit. Je n'ai rien envie de faire, et même si j'avais envie de m'adonner à quoi que ce soit, j'aurais toujours cette impression que ça me prendra trop de temps, que ça va déborder sur mon rendez-vous, et qu'il est mille fois mieux d'attendre l'heure fatidique.

D'ailleurs, je n'ai toujours pas pris de potion de Gretel...

Est-ce vraiment une bonne idée ? Je m'apprête à donner un ultime et dernier avis qui changera tout mon futur... Il ne faudrait peut-être pas que je sois influencé par la potion de Gretel.

Mais d'un autre côté, prendre une de ses potions me permettrait d'y voir un peu plus clair dans mes pensées, et de les empêcher de me tourmenter de trop. Dorothée n'a sûrement pas le temps de me voir douter, elle a besoin de réponses rapides et sans délai, pour lancer ses collègues sur tout ce qui va suivre. Autant arriver à son rendez-vous avec une opinion bien tranchée.

Je me fais glisser sur le matelas jusqu'à ma table de chevet, et tire la boîte cubique de tout le fatras que contient mon tiroir.

À l'intérieur, le cœur de Gretel semble un peu fatigué. On sent que son heure est bientôt arrivée. Je vais le repêcher, lui redonner une vie un peu plus longue, sur laquelle il aura largement le temps de s'essouffler pour ensuite me laisser mourir, avec lui.

Et le mien ? Qu'est-ce qu'on fera de mon cœur à moi ?

On va le donner ? Parce qu'après tout, selon le prospectus que m'avait donné Dorothée il y a une semaine, l'Attrape-Cœur n'est pas que spécialisé dans la médecine mentale, mais aussi dans les greffes bien banales de cœur, pour des problèmes cardiaques ou autre. Mon cœur n'est peut-être pas le plus plaisant, certes, mais il est en très bon état, c'est indéniable. Un client vulnérable serait sûrement bien content de l'avoir...

Cela veut dire qu'un client de quarante ans peut recevoir un cœur d'un gamin de seize ans ?

Dans ma mémoire, j'ai l'impression que Dorothée m'en avait touché un mot, mais je n'arrive plus vraiment à m'en souvenir. Il me semble qu'ils trient tout de même un minimum les cœurs avant de les donner à qui que ce soit, mais quand l'urgence est présente, ils prennent le premier venu.

Bon, qu'importe. L'essentiel, c'est qu'il serve.

Je débouche le flacon, et le porte à mes lèvres.

Je me rends rapidement compte que le liquide en descend avec une lenteur incroyable. On sent bien que c'est la fin, qu'il était censé prendre sa retraite demain. Je tape du doigt contre la paroi pour l'inciter à descendre plus vite, mais au final, quand un petit quart du flacon arrive enfin à ma gorge, j'ai l'impression qu'elle est si pleine que je suis obligé de poser le flacon, et de me concentrer pour déglutir sans m'étouffer.

Par CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant