J'ignore exactement ce qui s'est passé.
C'est un peu bête à dire, surtout que j'étais dans les premières loges de la situation. Mais je n'ai fait qu'assister à mes actes en tant que spectateur, et non en tant que Timothée Nottin, celui qui était censé animer la totalité de la pièce.
Et même si cela ne fait que quelques heures, je mets difficilement la main sur les évènements.
En remontant les couloirs des bâtiments (vides, puisque la cloche avait sonné depuis plusieurs minutes) après avoir ingurgité la potion — qu'il était compliqué de se souvenir de cette simple chose !—, j'avais l'étrange impression de flotter. De me savoir vide et frêle, et pourtant, d'apprécier pleinement ce que j'étais, léger et insouciant, aussi irrégulier que le vent. Tout comme ces fois où l'on pleure trop, où l'on se déverse de tout son être, et qu'à la fin, on se retrouve avec un corps tout vide, une carcasse remplie d'air.
Puis, la première chose que j'ai faite en arrivant en cours d'espagnol, sous les yeux médusés de Mathias, a été d'alpaguer señora Estarella, et de lui dire que, du week-end, je n'ai pas lu, ni prononcé, ni écrit le moindre mot d'espagnol.
Je me souviens, j'étais d'une désinvolture affreuse pour Timothée. Mais Timothée, je n'étais pas sûr de le sentir, à ce moment-là, quelque part en moi. Je me sentais comme une pâquerette, battant furieusement sous n'importe quel zéphyr, profitant avec bonheur de tout ce qu'elle trouve, qui sait que sa vie est aussi éphémère que fragile, et pourtant se moquer de sa mort et de ses conditions, de vivre passionnément et sans restriction.
Oui, j'étais tout ça quand j'ai déclaré à señora Estarella que je n'ai littéralement rien foutu.
Et étonnamment, je n'ai pas été si mal accueilli.
Señora Estarella s'est contentée d'hausser les épaules, et de me conseiller d'un ton gentiment appuyé de suivre la leçon d'aujourd'hui.
Et là, à nouveau, je me suis surpris, car je peux le dire : j'ai été un élève exemplaire, et ce, durant tous les cours qui ont suivi.
Toutes ces prouesses et tous ces efforts, je m'en souviens très bien. Néanmoins, j'ai encore du mal à saisir que j'en suis l'auteur, et je sais parfaitement qu'il m'est désormais impossible de recommencer.
J'ai continué à jouer la pâquerette, à faire vivre avec innocence une vie insignifiante, le savoir et m'en régaler. De m'intéresser à tout, de picorer dans tous les sujets, même les plus rébarbatifs. Et le tout, rythmé de temps à autre par une effluve mentholée, me caressant le palais et les dents, me rappelant que tout ce que je suis, à cet instant, je le dois sûrement à une seule et unique chose.
La potion de Gretel.
De tous les mystères de cette journée, celui-ci demeure le plus insoluble.
Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment, par un seul et même liquide, j'ai délaissé tout ce que j'étais sur le sol des toilettes ? Qu'y avait-il vraiment dans ce flacon, au juste ? Comment Gretel est-elle entrée en possession d'un tel objet ?
Dans le petit mot qu'elle m'a laissé avec la boîte, elle disait « goutte de ma personne, et si elle te plaît, prends mon cœur. » Elle faisait référence aux petits flacons, il n'y a aucun doute là-dessus. Mais comment parviennent-ils à poser sur mon nez les lunettes à travers lesquelles Gretel voyait et vivait dans ce monde ?
Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'elle est tout de même une sacrée chanceuse.
De ma vie, je n'ai jamais vécu comme ça. En quinze ans d'existence, jamais je ne m'étais senti ainsi, dans un monde si léger, si douillet, à l'avenir radieux et au passé reposant.
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Par Cœur
Novela Juvenil« Prends-le. Prends mon cœur, Timothée. » Avoir le cœur sur la main... ou dans la main ? C'est l'histoire d'un garçon, qui un jour hérite d'un cœur. • Aucun des médias ne m'appartiennent, ils sont tous tirés d'Internet. ~ Livre terminé, publié le 28...