Chapitre 3

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« Señor Nottin ! »

Je sursaute.

Ma professeur d'espagnol se dessine devant moi, brisant mes songes. Elle pointe son stylo vers moi d'un air menaçant. Et tout le monde sait qu'un stylo dans les mains d'un professeur peut s'avérer être une arme redoutable, particulièrement quand ils en déposent des mots accusateurs dans les carnets de liaison.

« Quand j'interroge, vocifère-t-elle, on me répond ! »

Peu importe la dose d'efforts fournie par señora Estarella : ses mots sont toujours autant amochés. Avec elle, il nous arrive d'entendre de drôles de phrases, qui, littéralement traduites, devaient se faire bien mieux valoir de l'autre côté des Pyrénées. Généreuse, notre professeur d'espagnol n'hésite pas à chérir notre vocabulaire en jetant de pleines poignées de mots argotiques un peu partout. Et, à cet instant, la colère de la réussit pas : ses r avoisinent le ronronnement torride des moteurs de tondeuses à gazon, ceux qu'on entend au beau milieu d'un dimanche ensoleillé, que l'on peut trouver familier et apaisant... Ou terriblement agaçant.

Bien que je ne suis pas sûr de saisir tous ses mots, je comprends parfaitement ce qu'elle me reproche.

Señora Estarella poursuit :

« Aujourd'hui, j'ai rencontré une élève ayant des soucis avec le verbe prendre... le recopier, conjugué à toutes les personnes et à tous les temps de l'indicatif pourrait être intéressant, tu ne penses pas ? »

Elle tapote son menton du bout de son stylo d'un air faussement pensif, et détruit son effet : mal rebouché, le stylo colore sa fossette de bleu, sans même que sa propriétaire s'en aperçoive. Ce petit détail aurait déjà ravivé le sourire sur les joues de Gretel. Je me mords l'intérieur de la joue, espérant couper cette même envie.

« Pardon, fais-je. Je ne le referai plus. »

Elle a du me poser une question... que je n'avais pas écoutée, tout comme le restant du cours. Et la plus grande horreur de señora Estarella est de ne pas se faire écouter.

Mais sous un autre jour, ma professeur d'espagnol peut être gentille, et même parfois assez drôle. Simplement, me rappeler à l'ordre doit être dans ses devoirs, de même qu'écouter figure dans les miens.

Je ne suis pas un élève modèle, j'en ai parfaitement conscience. Enfin, je ne suis pas un cancre non plus. Disons que... je suis ce qu'il faut pour passer ces années scolaires tranquillement, sans recevoir les foudres de mes professeurs ni m'étendre dans des devoirs à n'en plus finir. Je joue cet équilibre depuis que je suis tout petit, entre le bon-pas trop mauvais, et le bon-excellent-brillant. Si je dois aller à l'école, autant que ça se passe bien, et ça fait bientôt dix ans que je respecte cette règle que j'ai acquise assez rapidement. Dix ans, et jusqu'ici, tout allait bien... jusqu'à ce que le proviseur m'invite dans son bureau, lundi dernier. Depuis, j'ai l'impression que la balance penche... Et pas du bon côté, j'en ai bien peur.

Devant mes excuses, señora Estarella se radoucit. Un sourire vient même réchauffer son visage.

« Très bien, señor Nottin. Simplement, sois plus attentif. »

J'acquiesce silencieusement. Quoi qu'il en soit, atteindre cet équilibre scolaire demande du travail ; ne pas se faire enquiquiner par l'école a un certain prix. Et je n'ai vraiment pas envie qu'elle furète dans mes affaires, surtout ces temps-ci.

Et pourtant, malgré cette lourde sentence en tête, dès que señora Estarella retourne à sa leçon du jour, mon attention bute hors du chemin, et s'enfuit à tire-d'ailes loin, trop loin pour que je ne puisse la rattraper de par moi-même.

Par CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant