M. Starphe entre dans la salle.
Quasiment tous les bavardages se taisent, sauf quelques uns, mais qui sont tout de même réduits à des chuchotis à peine audibles, étouffés de gêne.
Notre professeur de maths est un homme plutôt grand, et pourtant plutôt maigre. Gretel le compare toujours à une feuille de papier, parce que de profil, il semble si plat qu'il pourrait rentrer par la fente d'une boîte aux lettres, ou s'enfuir d'une salle de classe en glissant sous la porte.
Quand M. Starphe pose son sac en cuir sur le bureau dans un petit bruit sourd, qui crie à la ronde le nombre de polycopiés et de contrôles qu'il réserve à ses élèves, les dernières discussions s'estompent pour de bon. Cet effet-là marche toujours, et M. Starphe le sait. Il se plante devant le tableau, nous salue, puis intime de nous asseoir.
Mine de rien, après les étranges jours que je viens de passer, son habituel sérieux rempli de froideur me fait plaisir. Il me rappelle que certaines choses ne changent pas, que le monde continue de tourner normalement, comme s'il ne s'était rien passé — ce qui me conforte dans l'idée qu'en effet, il ne s'est rien passé du tout.
« Tiens, Mlle Hinston est encore absente ? »
La réponse m'est évidente, mais je ne peux pas m'empêcher de tourner la tête vers la table voisine.
Elle est vide, bien sûr, étrangement vide : elle qui a hébergé Gretel durant tout ce début d'année, la bruyante, folklorique et pourtant studieuse Gretel, la voilà maintenant bien solitaire. Et une Gretel absente, ironiquement, ça fait du bruit, presque plus que quand elle est là.
Je redresse le regard. M. Starphe me fixe. Ses yeux sont teintés d'un étonnement qu'il est rare de croiser chez lui. Il laisse clairement sous entendre que c'est une situation pour le moins inhabituelle. Sinon, aurait-il glissé ce petit encore, innocent en apparence, qui rappelle que le prolongement de la situation la rend de plus en plus suspecte ?
Mais il a tort. Tort de ressentir de la surprise, ou de la suspicion.
Il n'y a aucune raison de s'inquiéter. Gretel est vivante, certes, mais semble avoir eu quelques mésaventures, qui d'ailleurs me taraudent depuis la veille. Alors oui, elle est blessée, fatiguée, surveillée et se fait reconstruire par la science de la médecine... Mais elle reviendra.
Le regard de M. Starphe se fait insistant. J'ai l'étrange impression qu'il est plus centré sur moi que sur la table vide de Gretel. S'il me soupçonne de quoi que ce soit, eh bien, il a tort, à nouveau.
« Je prends ses cours », déclaré-je.
M. Starphe ne perd pas une seconde, et me répond sans sourciller :
« Très bien. Tu as rattrapé notre cours de vendredi, bien entendu ? »
Rattraper le cours de vendredi ?
Sa question lui semble si évidente, que je me fais violence pour ne pas froncer les sourcils d'étonnement.
« ... Oui oui. »
Pourquoi aurais-je du rattraper un quelconque cours ? Au contraire, même : si je suis là aujourd'hui, c'est justement pour éviter de récupérer, sinon mes parents m'auraient très certainement gardé à la maison.
Il doit sûrement confondre avec un autre élève. Même s'il s'agit du grand et renommé M. Starphe, professeur de mathématiques depuis des lustres, à la juvénilité qui semble pourtant assurer qu'il a débarqué hier, personne n'est à l'abri d'une petite confusion.
Il signale l'absence de Gretel sur son ordinateur aux yeux de l'établissement, et pendant qu'il fait courir ses doigts sur le vieux clavier branlant, un murmure moqueur remonte, à quelques tables de moi :

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Par Cœur
Teen Fiction« Prends-le. Prends mon cœur, Timothée. » Avoir le cœur sur la main... ou dans la main ? C'est l'histoire d'un garçon, qui un jour hérite d'un cœur. • Aucun des médias ne m'appartiennent, ils sont tous tirés d'Internet. ~ Livre terminé, publié le 28...