~XVII~

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J'avais l'impression que le voyage avait duré des heures ; sans doute le temps paraissait beaucoup plus lent du point de vue d'un oiseau. Ce qui était sûr, c'est que nous avions traversé plusieurs boucles et, alors que nous croyions que la planque des estres se trouvait dans le Panloopticon, au contraire, leur base se trouvait dans un endroit plus discret et quasi impossible à retrouver.

Miss Peregrine et Jake m'avaient raconté que la première base où opérait le cruel Baron se trouvait dans une boucle à Blackpool et il leur avait été plutôt simple d'y accéder. Je m'étais demandé pourquoi un si grand projet avait été manigancé dans un endroit rempli de personnes. Miss Peregrine m'avait alors expliqué que non loin se trouvait la boucle de Miss Avocette et qu'un manège fantôme était un endroit inimaginable pour cacher une boucle. Donc, leur plan était clair et personne n'était censé découvrir l'entrée de la boucle. Sauf les enfants. En effet, ils avaient traversé la boucle sans peine, mais Miss Avocette n'avait pas été là pour remonter le temps et celle-ci s'était éteinte, laissant les particuliers dans le temps réelle. Bien entendu, il ne s'était pas passé beaucoup d'années encore entre deux.

Je pensai à leur bravoure et à leur geste courageux. De si jeunes enfants avaient réussis à sauver leur Ombrune. Puis, je pensai aux pupilles des autres Ombrunes. Et si eux avaient fait la même chose ? S'ils avaient eux aussi réussi à sauver leurs Ombrunes ?
Un son lourd fit vibrer la terre sous nos cages, et je me souvins de l'existence de ces terribles créatures. Seul Jake avait été capable de les voir et s'il n'avait pas été là à temps, les enfants n'auraient peut-être pas survécus et Miss Peregrine non plus. C'était un particulier comme Jake qui manquait dans toutes les autres boucles.

Des images me revinrent à l'esprit. Ma tête se mit à tourner. Je revis l'image des estres cruels, de leurs yeux blancs. Puis, je vis comme dans un cauchemar, ces pauvres enfants se faire dévorer l'âme, perdre leurs yeux. Je vis des boucles être détruites par le temps et des Ombrunes sacrifiées pour des expérimentations à but égoïste.

Mes pensées se dirigèrent sur la boucle de Cairnholm. C'était comme si je pouvais voir les enfants être dirigés par Jake, leur regard alerte. Le Sépulcreux les attaquait, mais ils s'en sortaient. Ethan se trouvait avec Fiona et Hugh et ils étaient tous trois protégés par Enoch et Olive. J'étais inquiète mais en même temps rassurée de ces images que me montrait mon cerveau. Je comprenais la sérénité qu'avait Miss Peregrine et sa confiance en ses pupilles et espérais ressentir la même chose également.

Il faisait plus chaud d'un seul coup. Les cris des autres Sépulcreux se rapprochaient. Nous étions arrivés à la base des estres. Je vis Miss Peregrine s'agiter. Dans ses calculs, elle n'avait sûrement pas dû inclure le fait que son frère était très malin et sans doute le plus intelligent de tous. J'observai autour de nous. Il n'y avait rien.
Nous étions dans un désert total. Il n'y avait qu'un arbre à notre droite. Deux camions militaires se trouvaient à quelques mètres et Caul avait fait installer une tente non loin pour surveiller l'entrée de la base. Je ne sais le chemin que nous avions parcourus pour arriver jusqu'ici, c'était impossible à s'y retrouver. Comment allaient faire les enfants ?
Miss Peregrine me lança un regard de ses yeux noir perçants, essayant vainement de me rassurer. Je compris que, pour nous sortir d'ici, il fallait compter uniquement sur nous-mêmes, car les enfants n'auraient eu aucune chance et il aurait été trop dangereux pour eux de mettre les pieds ici.

Nos cages furent secouées quand Caul nous posa au sol. Il déblaya le sable avec ses pieds et sous la terre apparue une espèce de porte. C'était un grand cercle de métal fixé sur le sable. Personne ne pouvait voir la porte si l'on ne s'y approchait pas.
Après avoir enlevé tout le sable de la porte, Caul se pencha et toqua deux fois, puis quatres, puis un long rebond avant de terminer avec trois petits coups. Du morse.
La porte s'ouvrit et une voix à l'intérieur nous indiqua d'entrer.
Nos cages furent soulevées dans le vide ; un Sépulcreux était venu s'occuper de nous.
Puis, nous descendîmes dans la bouche de métal par des escaliers encrés sous le sable. La porte se referma derrière nous. Caul ordonna de nous installer avant de sortir.
D'autres estres se trouvaient dans les couloirs et l'un deux prit la relève. Miss Peregrine n'avait pas l'air de les reconnaître.
Nous fûmes amenées dans une pièce étroite où gisaient d'autres cages. Nous n'étions pas dans la salle des expériences, mais dans une sorte d'entrepôt qui comportait pleins d'autres oiseaux. Oui, les autres cages contenaient des Ombrunes capturées depuis plusieurs endroits du globe. Moi qui croyait que les Ombrunes avaient quasi toutes disparues, voilà où elles se retrouvaient et qui sait depuis combien de temps. Leurs pupilles devaient sûrement être portés disparus eux-aussi ou alors ils devaient giser comme des clochards dans le Panloopticon ou, encore pire, dans l'Antre du diable. Parmi les oiseaux, il y en avait une (car les Ombrunes sont toujours des femmes) magnifique. C'était une perruche blanche teintée de mèches bleues et vertes au bec orange. C'était une Ombrune de l'Inde, sans doute avait-elle grandi là-bas avant d'y créer sa boucle. Au-dessous de chaque cage était collée une étiquette indiquant le nom de l'Ombrune, et celle-ci s'appelait Miss Malabar.

Les cages étaient bien trop étroites pour que nous retrouvions nos aspects d'humaines ; il nous fallait alors rester des oiseaux aussi longtemps que cela soit possible. Mais comment allions-nous monter un plan pour nous délivrer dans cet état où il nous était impossible d'écrire et parler ?

Ma cage fut mise à une extrémité de la pièce tandis que celle de Miss Peregrine fut posée à l'opposé. J'avais envie de crier, de pleurer, de prier mais je n'y arrivais pas. Mon corps se laissait petit à petit aller à la panique, mais je me retins du plus que je pouvais. Je voyais les autres Ombrunes qui restaient sereines, et je savais que mon devoir était celui de faire de même. Je devais garder mon sang-froid, ne montrer aucun signe de peur. Mais, c'était si dur de ne pas s'agiter ou de ne pas piailler. Même si les autres Ombrunes tentaient de me montrer l'exemple ou, du moins, de me rassurer avec leur comportement calme, je savais qu'elles agissaient ainsi car elles n'avaient tout simplement plus d'espoir ! Aucune échappatoire ou chance de retrouver leur liberté. Et aussi pessimiste que je pouvais paraître à ce moment-là, je sentais déjà nos vies se terminer dans cet endroit.

*
La première nuit se passa dans une panique totale. Les Ombrunes hurlaient et moi, repliée au fond de ma cage, je pouvais sentir mes ailes trembler.
Pourquoi les estres ne s'étaient-ils toujours pas mis à l'action ?

Soudain, comme si l'on avait lu dans mes pensées, la porte s'ouvrit et un homme apparut. Il avait de larges épaules sur lesquelles étaient posées de fines bretelles noires. Son pantalon était déchiré à des endroits et recouvert de sable. Il disait que l'entrée de la base n'était pas facile à retrouver non plus pour eux et qu'il leur fallait creuser de temps en temps. Il se mit à ricaner et attrapa au vol les deux cages les plus proches. Mon coeur fit un bond. Juste à côté d'elles se trouvait la cage de Miss Peregrine.

Les Ombrunes qui venaient d'être prises étaient très différentes l'une de l'autre. La plus grande était une chouette tandis que l'autre me ressemblait beaucoup. Elle n'était pas aussi large qu'un cygne, mais avait presque le même visage et son corps était recouvert de longues plumes noires. Elle était recroquevillée sur elle-même et nous lança un regard d'adieu, l'air de dire : « Ce fut un plaisir de passer ces quelques instants avec vous ».
L'estre s'éloigna et la porte se referma sur les cris désespérés de la chouette.
Les Ombrunes s'agitèrent à nouveau, certaines cherchant à défoncer les serrures des cages, d'autres donnant des coups de griffes et piaillant pour se faire entendre. C'était comme si elles cherchaient toutes à se parler, comme elles faisaient lors des conférences qu'elles avait l'habitude de mener un temps, pour trouver une solution à cette situation.

Si les estres réussissaient leur coup, ils reviendraient nous chercher pour recommencer, et s'ils échouaient, nous serions dans tous les cas l'essai suivant. Il n'y avait donc pas d'espoir à avoir, pas d'enfants qui arriveraient à temps pour nous sauver. Il n'y avait que les minutes qui défilaient nous obligeant à attendre patiemment notre tour...

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Coucou les lecteurs,
Je tiens à rappeler que Jake fait déjà parti de la boucle malgré le fait que nous sommes encore en 1943, comme vous l'aurez sans doute remarqué. Même si cela ne s'accorde pas avec les livres ou le film, je vous prie juste de vous imaginer que l'épisode où Jake a vaincu Baron et les quatre Sépulcreux s'est passé bien plus tôt. De toute manière, Jake a fait le choix de « sacrifier » sa vie dans le monde « moderne » pour rester avec les enfants et Miss P., et donc, de ce fait, il porte les vêtements de l'époque de la boucle et s'est habitué à la mentalité de cette époque ; ceci ne changera donc rien et ne mettra pas de confusion dans la suite de l'histoire.

Merci de votre compréhension, n'hésitez pas à me dire dans les commentaires votre opinion sur ce chapitre et à bientôt pour la suite ! :)

La Pupille Ombrune De Peregrine FauconOù les histoires vivent. Découvrez maintenant