Chapitre 1: Un événement tragique va vous arriver

37 1 0
                                    

— J’aurais aimé avoir un autre avenir.

En disant ces mots, Stella contempla le ciel d’hiver de Paris qui les dominait de sa splendeur. Elle s’était réfugiée avec son amie dans la grande roue qui animait les quais de la Seine. Depuis cette hauteur, la ville entière semblait figée dans l’attente d’un signe.

Stella retira l’anneau qu’elle portait au doigt et le tendit au-dessus du vide.

— Ne fais pas ça ! cria son amie Chams, qui sait ce qui pourrait nous arriver ?

— Pour ce que cela changerait ! Mon horoscope se trompe tout le temps, autant m’en débarrasser !

Elle faisait tourner l’anneau dans le creux de sa main.

— Mon scope[1] fonctionne très bien, fit Chams, c’est juste une question d’interprétation ! d’ailleurs il m’a prédit un événement tragique aujourd’hui, je commence à penser que je vais bientôt y assister ! Si tu le jettes dans la Seine je n’irai pas le chercher !

— Et si moi je me jette, tu viendras me chercher ?

Les deux adolescentes s’observèrent maladroitement. Une douceur pétillante se dégageait habituellement du sourire métisse de Chams, mais la menace de son amie lui donna un air grave. Elle secoua ses tresses multicolores et la fixa avec inquiétude, car elle le savait… Stella était capable de tout !

La douce Stella Moon cachait un tempérament de feu derrière ses jolies boucles brunes. Elle était aussi imprévisible que fidèle et la pâleur de son teint en ce début du mois de décembre ne devait pas faire illusion, elle avait la volonté inépuisable d’une éruption solaire.

— Tu m’as crue ? dit-elle en lui faisant un clin d’œil.

Et elles éclatèrent de rire.

Leur joie se mêla à l’ambiance festive qui régnait sur les bords de Seine. On inaugurait les animations de Paris-Ski et jusqu’à la fin de l’année les quais du centre-ville se transformeraient en une gigantesque station de sports d’hiver. De la grande roue on découvrait des statues de glace en forme de Centaure, la piste de patinage, les vendeurs de souvenirs, les canons à neige et l’attraction reine de la fête : la rampe de speed-luge, une piste digne d’un grand huit qui serpentaient au-dessus des quais. Les cris de frayeur des lugeurs se mêlaient aux animations et donnaient à l’ensemble cet air d’insouciance si caractéristique des fêtes du Solstice[2] de fin d’année.

Dans la grande roue dont les cabines évoquaient les douze signes du Zodiaque, les filles avaient choisi celle du Sagittaire. « Honneur à toi ! » avait dit Chams, c’était le signe de Stella, son anniversaire aurait lieu dans une semaine, il était normal de lui laisser ce privilège.

— Et puis ton rêve n’a probablement rien à voir avec ton avenir, reprit Chams pour terminer leur conversation, tu ne devrais pas t’inquiéter, surtout que cette histoire d’homme bleu est plus mystérieuse que la face cachée de la Lune !

— C’est pas un homme bleu. C’est un homme en bleu, ce n’est pas pareil.

C’est vrai. Ce n’était pas du tout pareil. Elle ne savait pas comment expliquer cela, Chams ne comprenait rien, elle raccourcissait tout, déformait les idées, si bien qu’au final on ne savait plus trop ce que l’on avait voulu dire.

Stella rêvait d’un homme vêtu de bleu, il était élégant, il portait un costume moderne, skinny, d’un bleu-roi qui avait une certaine profondeur. Un bleu sans fin. Il portait une chemise bleue du même ton que sa veste, des chaussures à talonnettes d’un bleu nocturne ; mais le plus étrange étaient ses cheveux, teintés d’un bleu-pétrole, plaqués en arrière à l’aide d’un gel souple, des cheveux mi-longs qui semblaient soyeux et faisaient ressortir son visage de nacre. L’homme en bleu avait une de ces barbes de hipster, large, fournie, dense, bleue elle aussi. Elle n’avait jamais vu ses yeux, cachés derrière une paire de lunettes miroirs aux reflets azurs.

Sagittaire { Terminé }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant