Chapitre 5: Votre avenir commence aujourd'hui

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Il était tard. Stella rentrait de l’école dans le métro qui l’amènerait jusqu’au quartier Cassiopée, son quartier, une de ces petites banlieues dans lesquelles les gens vivent tous dans les mêmes maisons, se lèvent tous aux mêmes heures, font les courses dans le même supermarché pour finir par manger la même chose. Stella se disait parfois que les gens devaient finir par étrangement se ressembler à force d’avoir les mêmes vies. Sa mère avait beau dire qu’ils étaient privilégiés, que nombreux étaient ceux qui auraient voulu bénéficier de leur confort, qu’ils avaient été bien lotis par les astres, elle n’y prenait pas goût.

Elle avait encore un changement à effectuer avant de se retrouver sur sa ligne. Les couloirs du métro clignotaient car à chaque pas que faisait Stella des auréoles publicitaires apparaissaient au sol. Il en était ainsi pour tous les usagers, pour tous ceux du moins qui étaient munis d’une semelle connectée, des informations personnalisées vous accompagnaient où que vous soyez, où que vous alliez. Des cercles, des orbes et des lignes courbes devançaient les pas de chacun, lui chantant les offres les plus alléchantes auxquelles auraient accès son signe zodiacal ce soir-là. Le corridor ressemblait ainsi à un écran baroque de machine à sous, les cling, flashs et autres bingos clignotaient sans cesse au rythme frénétique des marcheurs.

Le même message revenait à chacun des pas de Stella : « Mettez votre scope à jour. Avec Starscope, votre avenir commence aujourd’hui ! » Depuis le vol de son scope elle n’avait plus accès à ses données zodiacales, le système de sécurité du ministère avait bloqué tous ses accès astrologiques, c’était la procédure, on évitait de cette manière que quelqu’un utilise votre avenir à des fins malhonnêtes. Elle n’avait donc plus d’avenir. Et les messages répétitifs de la multinationale Starscope commençaient à devenir agaçant à force de le lui répéter !

Alors qu’elle marchait dans la longue correspondance qui la menait à son train, l’atmosphère autour d’elle changea, le flot des voyageurs s’était dispersé, si bien qu’elle était désormais seule dans le couloir. Il ne restait que les messages de Starscope pour rythmer ses pas. Et les diffuseurs d’ambiance qui assuraient l’éclairage des corridors du métro s’adaptèrent à sa solitude, la lumière se tamisa en des ondes mauves et froides jusqu’à se fondre dans un décor marin en un bleu des profondeurs.

C’est alors qu’elle entendit des pas résonner derrière elle. Des pas qui avançaient au même rythme que le sien. Etrangement les diffuseurs d’éclairage ne se réchauffèrent pas, bien au contraire, le bleu du couloir prit la teinte sombre des reflets du pétrole. Stella jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, un instinct protecteur fit qu’elle ne s’arrêta pas, mais l’espace d’une nanoseconde elle sentit son cœur tressaillir dans sa poitrine. C’était lui. C’était l’homme bleu. Il la suivait, d’un air tranquille, se fondant dans la couleur du couloir comme un squale dans l’océan. Assuré d’avoir trouvé son dîner.

Stella accéléra le pas. Elle entendit un tic-tac glacé dont la cadence augmenta se rapprocher d’elle. Où étaient passés les autres voyageurs ? Pourquoi était-elle subitement seule à cette heure d’affluence ? Elle ne se posa pas ces questions, l’unique chose qui lui importait était de rejoindre le quai et la foule qu’elle pensait y trouver.

C’est alors qu’il se remit à fredonner cet air ancien et mystérieux, c’était la même chanson animale que celle sur laquelle il s’était déjà dandiné avec provocation et bestialité. L’homme bleu ponctua l’une des strophes d’un cri aigu et sauvage, à la manière d’un rapace cherchant à pétrifier sa proie avant de fondre sur elle.

La jeune fille se mit à courir, elle ne se retournait plus, ce n’était plus nécessaire, car l’homme bleu ne cherchait pas à se dissimuler. Elle sentait son souffle derrière elle, elle entendait ses râles et ses petits cris d’animal excité, sautillant plus qu’il ne courait, la rattrapant de ses bonds élastiques. Elle devina la lueur du quai devant elle, il ne lui restait que quelques dizaines de mètres, mais il était là, toujours à courir, ne la lâchant pas. Il l’avait même rattrapée de ses longues jambes arquées et courait à côté d’elle désormais. Arrivé à sa hauteur il la regarda tout en poursuivant son élan, il lui lança un sourire abominable qui dévoila des dents bleus et brillantes. Stella poussa un cri. L’homme l’imita en saccadant ce cri à la manière d’un chant de guerre barbare et ridicule pour le réduire au néant du « houhou » de son refrain.

Sagittaire { Terminé }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant