Sagittaire { Terminé }

Chapitre 32: Plus rien ne s'opposera à vous

Combien d’étoiles se sont éteintes cette nuit-là ?

Stella sentit la chaleur et l’horreur traverser l’acier du planétarium. Elle entendit les cris, les âmes et les explosions qui faisaient résonner le dôme. Qui pourrait survivre à ce feu solaire?

Elle revoyait le visage bleu angélique de Gide, ce bleu d’outre-tombe qui venait de l’envoyer au ciel. Elle releva la tête, ce même ciel dégagé laissait voir la nuit étoilée de décembre. On entendait au loin des sirènes de police qui s’éveillaient, une rumeur qui enflait depuis les quais, Paris avait peur.

Stella dominait la cité, plus proche du ciel que jamais elle en sentait les cris et les angoisses. Elle se leva et vit la ville lumière telle qu’elle avait toujours rêvé la voir, son rêve d’enfant se réalisait dans le deuil, avec un goût insupportable de colère. Qui peut accepter la mort de ceux qu’il aime ? Elle avait soif de vengeance et là-haut, dans l’espace, Algol vint lui souffler une confidence.

Bocace Barca n’était pas loin, elle reconnut le léger bruit de son gyrodrone qui s’éloignait, la jeune fille courut dans sa direction sur le toit du plus large planétarium du monde. Il était là, le ministre descendait lentement la courbe du toit sur son fragile engin qui manquait de se renverser sous son poids à chaque instant. Elle prit son élan, dévala la pente et bondit tel un serpent sur sa proie !

« Maudit ! » hurla-t-elle en tombant sur son dos, la grosse bête poussa un frêle cri de surprise. Mais ses semelles magnétiques lui permirent de rester en vol, le gyrodrone toutefois, se mit à tanguer en tous sens, comme s’il avait été déstabilisé par le choc. Il plongeait en avant, en arrière, s’emballait, ne parvenait pas à retrouver son équilibre. Le ministre poussait des glapissements de petit chien apeuré, tandis que perchée sur son dos, Stella lui couvrait les yeux de ses mains en serrant aussi fort qu’elle le pouvait. Si seulement elle avait pu lui crever un œil !

Ils tournoyaient ainsi tous les deux au-dessus des toits du ministère de l’Astrologie, on aurait cru un insecte, une grosse mouche, étourdie par le choc d’une vitre. Ils tapèrent à plusieurs reprises sur le toit, sur les cheminées, manquèrent de se renverser au-dessus du vide, mais une étoile les protégeait ; à chaque fois la masse de Big B faisait contrepoids et les ramenait sur la toiture de l’édifice. Le ministre gesticulait pour tenter d’éjecter ce parasite qui s’était accroché à lui. Mais la jeune Serpentaire mordait, esquivait, piquait, s’enroulait de plus belle à chaque fois qu’il pensait réussir à l’attraper.

Ils finirent inévitablement par se renverser, ils avaient fait plusieurs dizaines de mètres lorsque le gyrodrone, perdit brusquement de l’altitude et s’abattit sur le vaste plafond vitré de la galerie des Glaces du ministère. Les vitres se fêlèrent dangereusement, mais par un de ces miracles Sagittaire, elles ne se brisèrent pas. Bocace Barca reprit ses esprits, il était apeuré, depuis des années il n’avait pas ressenti une telle frayeur. La fille de Basile se tenait devant lui, elle s’était relevé et s’apprêtait à se jeter à nouveau sur le ministre assassin. Comment cette gamine avait-elle pu s’en sortir ? Comment avait-elle pu échapper au piège qu’il avait mis tant d’années à tisser ?

— Attends ! supplia-t-il.

Mais Stella ne lui laissa aucun répit, elle attrapa le gyrodrone et lui en donna un coup puissant. Le sang vint salir le maquillage de Barca. « Et de deux ! » Hurla-t-elle en le frappant à nouveau. Mais alors qu’elle allait abattre une fois de plus sa colère sur ce monstre, il roula sur lui-même et mit les mains sur sa tête pour se protéger les oreilles.

— Ne me frappe pas, non ! glapit-il comme un jeune chiot.

Il était prostré sur lui-même, tentant de se protéger maladroitement des coups dont le menaçait la jeune Serpentaire. « Maudite étoile ! Maudite étoile ! » répétait-il entre ses lèvres.

— Que dis-tu gros Pluton ? Que dis-tu ?

— Rien ! Tout ! Dis-moi quel avenir tu veux, tu l’auras ! Pour toi et ta famille ! Tu ne serais pas la première à bénéficier d’un avenir sur mesure, ne serait-ce pas formidable ? cela réglerait tous tes soucis matériels, mon enfant.

— Je n’en veux pas de ton avenir !

Et elle le frappa de nouveau, le gyrodrone résonna sur le crâne chauve de Barca. Ce dernier poussa un gémissement de douleur, il roula sur la verrière du palais, mais Stella le frappa à nouveau, de ses bras sans force mais chargés de colère.

— Arrête ! Que veux-tu, maudite Moon ? J’aurais dû tous vous tuer ! C’est ta maudite étoile ? Quelle est-elle ?

— Il y a bien une chose que tu ne sais pas finalement ! Une chose que vous n’avez pas su découvrir, toi et tes chiens de prédicteurs ! Mon étoile !

— C’est un détail. Cela n’aurait rien changé.

— Ça change tout !

Et Stella frappa encore et encore le monstre. Il esquivait, à quatre pattes, roulants, rampants, mais la jeune fille ne lui laissait pas de répit, elle tapait avec rage en tous sens. Ses coups pénétraient la baie vitrée du plafond de la galerie des glaces qui se lézardait peu à peu, car malgré toute sa hargne, Bocace parvenait à l’éviter en se traînant comme une larve sur le verre.

— Algol ! La voilà mon étoile, Algol !

— L’œil de la Méduse ! J’aurais dû le prédire ! Mais tu te lèves trop tard, jeune étoile, la Pythie est morte, plus rien ne s’opposera à l’accomplissement de mon destin !

Alors qu’elle allait abattre son arme dans l’espoir d’en finir, une sonnerie retentit.

C’était le téléphone du ministre. Stella s’immobilisa dans son mouvement.

— Qu’est-ce que c’est ? dit-elle avec une impatience juvénile.

— Eh bien, si mes prédictions sont exactes… ce doit être un appel pour toi.

La jeune fille retint son souffle et baissa les bras. Elle ne comprenait plus. Bocace fouilla dans ses poches, il en sortit son portable qu’il lui tendit : « Tiens, c’est ton père. »

Big B souriait, il avait repris son air de mauvais garçon. Stella lâcha le gyrodrone et prit l’appel : « Allo… papa, c’est toi ? »

« Stella, arrête tout de suite ! » elle reconnut la voix grave de son père qui résonna sans écho dans la nuit parisienne.