Sagittaire { Terminé }

Chapitre 25: Jupiter guide vos pas

C’était le grand soir. Paris était illuminée des décorations du Solstice. Déjà la foule descendait des avenues principales vers les bords de Seine. Et de sa superbe masse, le ministère de l’Astrologie contemplait ce peuple qui venait à lui. Les tours médiévales de l’édifice s’élançaient vers le ciel, des arches de verre reliaient les anciens bâtiments aux bureaux modernes cachés par des vitres opaques ; on devinait les escaliers en colimaçon, les passages interdits. L’ensemble faisait songer à une pieuvre monstrueuse dont les tentacules innombrables et sauvages recouvraient toute l’étendue de l’Île de la Cité.

Au cours des siècles, les astrologues de France avaient agrandi cet ancien château, y ajoutant selon leur goût un palais, un observatoire, une muraille… Si bien que le ministère ne ressemblait plus à rien, sinon à une pile hasardeuse de constructions reflétant les styles de toutes les époques. Surplombant ce dédale le dôme du planétarium, construit par Bocace Barca, formait une gigantesque coupole contemplant les étoiles. Un œil rond et avide, sans cesse ouvert sur le ciel.

La neige avait cessé. Le ciel s’était dégagé. Seule une fine couche de flocons sales et grumeleux recouvrait encore le sol. Cette accalmie permettrait aux Parisiens de profiter du spectacle que leur offrirait le Solstice. Ils arrivaient en masse, comme un flot d’animaux curieux et agités prêts à entendre les prédictions de leurs destinées. Starscope retransmettait en direct la cérémonie, mais rien ne valait ce bain de foule, cette ambiance électrique du passage de la nouvelle année, et l’on s’installait dans les gradins prévus pour accueillir le peuple de la capitale dans une atmosphère festive. Les animations de Paris-Ski pétillaient d’excitation et de cris d’enfants, car le Solstice était aussi leur fête. Tous s’amusaient, profitaient de l’insouciance, pariaient sur les prédictions à venir ou s’interrogeaient sur ce que serait le feu d’artifice inoubliable qu’on leur avait promis.

Sur le pont au Change, des familles accompagnaient les enfants qui avaient eu le privilège d’être élus par le Zodiaque pour représenter leur ville à la cérémonie officielle. On se prédisait des vœux de richesse heureuse avant de s’embrasser et de se séparer.

Stella ne disait rien. Elle n’osait pas regarder son père, elle ne le voulait pas. Cassandre l’avait serrée contre elle, puis lui avait glissé quelques paroles tendres et sucrées. Elle avait simplement hoché la tête, sans dire un mot. Elle s’était ensuite retournée et avait pris sa place dans le flot des invités qui se dirigeait vers le portail du ministère.

Elle n’avait pas vu le regard sombre de son père. Elle n’avait pas vu ses parents s’éloigner et rejoindre les spectateurs qui s’installaient sur les quais. Elle ne voyait plus que la masse sombre et merveilleuse du planétarium qui se découpait dans le crépuscule.

« Quel sentiment de hauteur, de puissance, d’invulnérabilité devait habiter le ministre de l’Astrologie ! » songea-t-elle. Il était au-dessus de tout. Sans doute avait-il depuis cet observatoire, la plus belle vue que l’on puisse avoir sur les étoiles.

Elle n’entendait pas les questions des autres enfants qui se demandaient les uns aux autres d’où ils venaient, quels vœux seraient exaucés, quel avenir leur prédirait la Pythie… Tout cela n’avait plus d’importance. Elle chercha dans la nuit la constellation de Persée, la trouva, puis suivit la main du héros qui tenait la tête de la Méduse, Algol brillait d’un éclat sombre depuis le fin fond de la galaxie.

La file des invités avançait lentement vers l’entrée du ministère. On y pénétrait par un ancien portail gothique aux nombreuses gargouilles moyenâgeuses, chacune représentant une constellation figée dans la pierre. Le Centaure l’effraya un instant, elle reconnut également Ophiucus, le porteur de serpent, qui se débattait avec un reptile, Pégase surgissait de la roche... La foule s’engagea sous cette arche cosmique comme dans la bouche de l’univers.