Chapitre 35: Vous ne maîtrisez plus la situation

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Courir. Tous couraient, se poussaient, hurlaient. Une panique générale s’était emparée des Parisiens. L’attentat faisait craindre le pire, d’autres explosions, d’autres innocents perdus dans les flammes. Il fallait fuir. L’incendie du planétarium s’était déjà communiqué à l’ensemble du palais. Les toits du ministère de l’Astrologie crépitaient telle une pluie de météores, par instants des bruits étranges, des mugissements d’acier fondu, des geysers de tuiles et de flammes s’abattaient sur les bords de l’Île de la Cité. Mais ce que tous redoutaient, c’était que se renouvelle ce grondement sourd qui avait fait frémir la ville entière, la détonation qui avait eu lieu à l’intérieur de l’observatoire avait paralysé les spectateurs du Solstice. A la manière d’un tremblement de terre, elle avait figé les corps sous le coup de la surprise. On aurait cru la fin d’un monde, une apocalypse planétaire. Puis, se réveillant dans un même cri, le peuple de la ville avait hurlé sa stupeur. Tous s’étaient rués vers les issues de secours, il fallait fuir et seule comptait sa propre survie.

Les portes du ministère étaient grandes ouvertes, un flot d’employés, d’administrateurs, d’agents et de prédicteurs sortaient effrayés. Retirant leurs vêtements, suffocant sous la chaleur et les fumées toxiques qui commençaient à s’abattre sur la ville. Les pompiers arrivaient au même instant, se pressant, recueillant les premiers blessés, interrogeant les plus valides pour s’enfoncer dans le brasier monstrueux à la recherche de rescapés. Les services de sécurité ajoutaient à la frénésie ambiante en criant ordres et contre-ordres, il fallait juguler la panique, contrôler la foule, limiter que les mouvements de masse ne causent plus de victimes.

Stella courait. Elle avait remonté le quai de l’Île de la Cité en croisant des fugitifs hagards, et elle s’engageait désormais sur le pont qui menait à Paris-Ski. La foule y était dense, policiers, rescapés, pompiers, psychologues post-attentats, journalistes, tous s’agglutinaient dans cet espace suffisamment éloigné pour ne pas craindre les risques de l’incendie tout en étant assez proche pour y organiser les secours. Elle était la seule enfant. Qu’étaient devenus tous les autres ?

Elle traversa les haies de sécurité, passa entre les pompiers, des mains se posaient sur ses épaules, la consolaient et l’orientaient vers les tentes de secours que l’on venait d’installer. Où aller ? Où étaient les autres ? Elle fouilla du regard autour d’elle, dans cette foule d’inconnus elle aurait aimé apercevoir son père. Etait-il encore en vie ? Elle n’osait y penser, mais peut-être était-il mort par sa faute ? Qui sait si Barca n’avait pas raison, peut-être que tout ce qui arrivait était de sa faute ? L’étoile d’Algol n’était-elle pas maudite ?

C’est alors qu’elle le vit. Non pas son père, mais Bocace Barca ! Il haletait en sautillant à l’autre bout du pont, le visage défait, sanglant, les orbites larges et aux aguets, scrutant la foule à sa recherche ! Il avançait à contre-courant, écartant les prédicteurs et les secours sur son passage, repoussant d’un grognement ceux qui le retenaient pour lui proposer leur aide, les envoyant balader en pointant le palais du doigt. Il avançait laborieusement, sa corpulence le gênant au milieu de cette foule, mais il avançait inéluctablement.

Stella accéléra le pas. Il fallait fuir, lui échapper avant qu’il ne mette tous les prédicteurs à sa poursuite. Ils avançaient tous deux à contre-courant, remontant le flot des secours qui se précipitaient vers le ministère. Stella se hâtait, mais il lui était impossible de courir dans cette foule, on la retardait sans cesse, elle se faufilait entre les adultes, évitait les regards, les mains secourables, pourtant derrière elle la masse du ministre approchait inexorablement. Il poussait littéralement la foule sur son passage, le visage suffocant, rougi par les lueurs de l’incendie, écartant tout d’une colère animale.

Le téléphone ! Stella sentit son téléphone vibrer dans sa poche. C’était un appel de Chams !

— Où vous êtes ? cria-t-elle dans l’appareil.

Elle entendit un cri de joie de ses deux camarades.

— On est sur les quais ! C’est la panique totale !

— Où ça ? Moi aussi j’y suis !

Les voix de ses amis se confondaient, ils parlaient visiblement en même temps sous le coup de l’émotion.

— T’es où ? Il y a une rumeur qui dit que des drones vont attaquer !

— Mais non, c’est complètement faux, intervint Rembrand, as-tu le scope ?

— Non, j’ai pas le scope, coupa Stella, mais j’ai bien mieux, une confession de Big B enregistrée !

Chams s’enthousiasma d’un cri guttural, mais Rembrand lui prit le téléphone des mains, visiblement contrarié.

— Quelle confession ? C’est pas ce qu’on t’avait demandé ! Il nous faut son scope ! Il pourra toujours dire qu’on l’a forcé à faire cette confession, ou pire que c’est un montage ! Alors qu’un scope dit forcément la vérité lors d’un procès !

Stella écoutait son camarade, elle était dépitée par ses paroles ; elle regarda en arrière en s’efforçant de se frayer un chemin à travers l’agglutinement général qui s’était formé à la sortie des quais. Tout le monde remontait vers le boulevard, certains tombaient, on se piétinait, on s’écharpait pour passer devant les autres, c’était chacun pour soi dans une course salutaire. La jeune fille, à contre-sens, se plaqua contre une rambarde pour ne pas être écrasée.

— Stella, il nous faut son scope ! répétait Rembrand sur un ton impératif.

Elle repensa alors aux événements qu’elle venait de vivre durant cette dernière heure. Que d’horreurs, que de deuils, que d’efforts affamés ! Et tout cela en vain ? Elle ne pouvait pas prendre ce risque, Rembrand avait raison, il leur fallait prouver de façon certaine la culpabilité de Bocace, il leur fallait ce scope.

Elle tourna la tête et vit Big B qui traversait le pont, le visage en sueur, s’épongeant de sa main lourde, se caressant l’oreille comme il avait l’habitude de le faire.

— Stella, tu m’entends ? insistait avec inquiétude son camarade, il nous faut son scope !

— Oui, je t’entends. Je crois que j’ai une idée…

A voir ainsi Barca courir à la manière d’un petit chien frénétique, à le voir ainsi se caresser l’oreille droite où il portait un écarteur de lobe creux, elle comprit enfin le sens de ce tic.

— Je sais où est son scope ! s’exclama-t-elle, rendez-vous à la piste de luge du Sagittaire ! On va le piéger !

Et alors que ses amis râlaient en lui demandant des précisions, la jeune fille raccrocha. Elle monta sur la bordure du quai pour éviter de se frayer un chemin dans la foule hystérique et se dirigea vers le lanceur de speed-luge de Paris-Ski.

C’était cette même piste de bobsleigh qu’elles avaient essayée Chams et elle, une quinzaine de jours auparavant lors de leur escapade buissonnière. Les luges y étaient catapultées à la vitesse d’un météore par un canon qui figurait l’arc du Sagittaire. Elle devait y entraîner le ministre afin de l’éloigner de ses prédicteurs et s’emparer de son scope !

Il était là ! A quelques mètres d’elle désormais ! Et il la vit alors qu’elle surplombait la foule en sautant sur le parapet du pont. Sa colère décupla, cette grosse bête, perdue au milieu du peuple l’interpella en criant : « Sale petite comète ! » Stella se tourna, ils se firent face un instant, s’observant avec la même peur car tous deux se craignaient pour des raisons différentes. Elle aurait voulu le défier, l’insulter, lui cracher sa haine, mais la frêle Serpentaire s’engagea sur le ponton du lanceur de luge qui partait depuis le haut du quai pour plonger ensuite dans la Seine. Elle monta dans l’une des speed-luges, retira la sécurité, tendit le bras et actionna le levier de départ. Devant elle un compte à rebours se mit en route : 3, 2, 1… dans un souffle cosmique sa luge fut catapultée dans l’étroit conduit glacé de la piste de bobsleigh. Elle n’eut que le temps de pousser un cri de fièvre, tandis que la vitesse de l’engin et le givre des parois la propulsèrent au-dessus de la ville en flammes.

Sagittaire { Terminé }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant