La maison ne payait pas de mine, du point de vue d'Anna. En soi, il n'y avait aucune différence entre celle-ci et toute la brochette d'autres maisons qui s'alignaient dans le lotissement comme des produits manufacturés à la chaine dans une usine. Juste des murs blanc gris, percés de fenêtres classiques et arborant une baie vitrée, pour beaucoup à présent défoncée, et une petite terrasse en pierre donnant sur un jardin consistant en un long carré d'herbes folles et quelques arbres maigrichons.
Mais c'était la plus proche de sa cachette, et ce fait seul suffisait aux yeux de la jeune fille dissimulée dans les broussailles parsemées de vieux détritus pour en faire son objectif principal. Elle avait tout simplement trop faim et soif pour ne pas explorer les lieux, même si l'idée de se risquer à découvert de cette façon la faisait trembler comme une feuille. À moins que ce ne soit l'hypoglycémie ?
En toute honnêteté, elle n'aurait pas su dire. La douleur sourde de son ventre vide était devenue une compagne de tous les instants, ces derniers jours, mais c'était le fait de tomber dans les pommes qui l'avait finalement décidée à quitter les ombres dans lesquelles elle avait jusque-là trouvé refuge. Anna s'était déplacée surtout la nuit, se reposant le jour et évitant les routes et les autres passages potentiellement empruntés tout en s'éloignant vers ce qu'elle espérait être le nord. C'était avec un soulagement indicible qu'elle avait refermé le parapluie lorsque la pluie de cendres avait enfin cessée, mais ses ennuis n'avaient alors fait que commencer, surtout si elle ne trouvait pas quelque chose à se mettre sous la dent rapidement.
Si certaines de ses blessures s'étaient effectivement infectées, ce n'était fort heureusement pas le cas des plus graves. Celle qu'elle avait au visage, notamment, commençait à bien se refermer, mais cela n'était malgré tout pas beau à voir, de ce qu'Anna avait pu constater sur le reflet de ce qui restait de son écran de téléphone agonisant. Elle n'utilisait par ailleurs quasiment plus ce dernier, une part d'elle-même redoutant plus que tout le moment où sa batterie tomberait à plat. Anna ne savait pas pourquoi, mais l'idée seule la rendait malade d'angoisse.
Ce n'était pas la seule chose à la rendre malade.
L'une des raisons pour lesquelles Anna préférait désormais se reposer de jour et se déplacer de nuit, c'était qu'outre le fait que cela lui semblait instinctivement plus prudent, la jeune fille entretenait encore un peu l'espoir que la lumière du jour pouvait l'aider à faire face aux cauchemars violents qui la hantaient. La première fois qu'elle avait essayé de dormir, Anna n'avait tout simplement pas pu fermer l'œil, malgré l'abri que les buissons dans lesquels elle s'était réfugiée lui offraient. Les images de mort semblaient comme marquées au fer rouge sous ses paupières, suintant de ses souvenirs martyrisés jusque dans ses rêves. Elle n'avait pas les mots pour décrire ce que son subconscient essayait visiblement de lui hurler, mais ses larmes étaient toujours aussi brûlantes à chaque réveil brutal, son cœur battait avec le même affolement tandis qu'elle revivait encore et encore, en songe, ce à quoi elle avait pensé avoir échappé dans la réalité.
Pour Anna, l'enfer avait à présent un goût de cendres, de suie et de sang. Et ce goût semblait s'attarder sur sa langue à chaque fois qu'elle se réveillait, les joues mouillées et la gorge douloureuse de retenir la plupart de ses cris dans le silence lugubre qui l'accueillait en retour.
C'était dans ces moments-là que la solitude et le désespoir la frappaient avec la force d'un marteau tapant sur une enclume. Elle échappait à l'horreur de ses cauchemars pour retrouver celle de la réalité qui était à présent la sienne et celle de potentiels survivants. Mais comment imaginer que d'autres aient pu en réchapper lorsqu'elle se souvenait de ce qu'elle avait vu ?
Comment imaginer que sa famille puisse être elle aussi perdue dans ce qui restait de ce monde ?
Aussi Anna vivait-elle au jour le jour. Elle avançait lentement pendant la nuit avec l'aide de la lune lorsque les nuages daignaient laisser passer sa maigre lumière pour éclairer son chemin, évitant ces terrifiants vaisseaux hurlants qui volaient de temps à autre en rase-motte, chassée par des échos de voix et de bruits aussi inconnus que terrifiants.
Qu'est-ce qui la poussait ainsi ? Anna n'aurait su le dire. C'était peut-être ce sentiment continu qui bourdonnait au fond d'elle-même, comme une vieille station de radio mal réglée dont le volume avait été mis au minimum, lui chuchotant de continuer à être mobile, de ne pas s'arrêter. Ce qu'elle cherchait n'était pas derrière elle, bien qu'Anna aurait tout donné pour retrouver son monde d'avant, mais devant. Ce dont il s'agissait demeurait également une question à laquelle la jeune fille n'avait pas la réponse. Tant que cela l'éloignait des ruines de Paris... Et que cela la rapprochait potentiellement de ses parents et de son frère.
Mais à présent, Anna avait faim, soif, froid, et tout ce qui restait de la supérette tenait dans les poches de son manteau sentant encore fortement la fumée toxique et le plastique brûlé. Elle ne pouvait pas continuer ainsi, pas si elle voulait survivre.
Elle n'allait pas y couper.
La jeune fille attendit encore un peu, sursautant lorsqu'une brindille craqua en tombant dans les feuilles mortes, puis se força finalement à s'avancer à découvert. À pas de souris, Anna se glissa sous le grillage et traversa le petit jardin dans lequel une balançoire en plastique grinçait lentement sous l'action du vent froid de fin d'automne. Arrivée devant la baie vitrée fermée, Anna hésita, puis s'empara du gros cendrier posé sur la table de jardin. Ses doigts tremblaient en soulevant l'objet au poids inattendu, et l'adolescente grimaça un « pardon » du bout des lèvres avant d'envoyer son projectile improvisé contre la vitre aussi fort qu'elle le put.
Cette dernière se fracassa dans un tapage de fin du monde aux oreilles d'Anna. Rouge de honte face à son geste malgré sa nécessité, elle passa sa main dans le trou qu'elle venait de créer et entreprit de déverrouiller la porte coulissante, la repoussant ensuite pour pouvoir entrer complètement dans la maison.
Cela faisait environ une semaine que le monde de la jeune fille paraissait avoir explosé comme une supernova, si Anna avait correctement compté, mais une odeur de renfermé flottait déjà sur les lieux, tandis que la vie paraissait s'être figée, pétrifiée telle que les gens rattrapés par l'horreur et la panique l'avaient laissée. Anna traversa le salon comme une ombre, ses yeux se posant brièvement sur les fruits abandonnés dans une corbeille et déjà gâtés par le passage du temps tandis qu'elle se mettait en quête de la cuisine. La maison n'était pas bien immense, aussi ne tarda-t-elle pas à trouver ce qu'elle cherchait.
De même qu'elle avait ignoré les fruits, Anna délaissa très rapidement le frigo, qui était resté ouvert un temps indéterminé, sans compter l'électricité coupée, privilégiant à la place les placards, la faim la tiraillant à présent si fort qu'elle en avait presque la nausée. Piétinant des sachets de steak hachés éventrés et mystérieusement abandonnés sur le sol en lino, elle ouvrit ce qui s'apparenta à ses yeux à une petite caverne d'Ali Baba, qui fit gargouiller son ventre vide.
Sans prendre de gants, Anna plongea la main dans les paquets de chips, les bocaux de cornichons et les conserves d'olives et de maïs, appréciant simplement, quelques instants seulement, le fait de pouvoir à nouveau se remplir l'estomac. Qui aurait cru qu'un plaisir aussi simple pouvait la mettre dans un tel état de félicité, aussi éphémère soit-il ! Elle ferma les yeux pour apprécier ce court moment de répit encore davantage, terminant le paquet de chips voracement entamé à la vitesse de l'éclair.
Une bouteille d'eau suivit le même chemin, avant qu'Anna ne s'intéresse au placard suivant, près de l'évier, pour voir si elle ne pourrait pas trouver autre chose de potentiellement utile...
Mais au moment où ses yeux fatigués se posaient sur une gamelle vide posée à même le sol non loin d'elle, lui faisant machinalement froncer les sourcils, elle entendit un grognement menaçant dans son dos.
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... Je le sens mal, pas vous ? ... Comment ça "c'est moi qui écris l'histoire" ? X'DD
La suite très vite, mes bigorneaux !
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Les Insoumis : A Star Wars Story
Fanfiction"Nous avons passé notre temps à admirer les étoiles. Et un jour ces mêmes étoiles nous ont regardés à leur tour, et ont plongé notre monde dans le chaos." Lorsque la Terre est brusquement attaquée par une force inconnue et destructrice venue des tré...