Marie-Calice, Missionnaire de l'extrême (Nelly Chadour)

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Jésus Marie Joseph ! Ou quand le zèle missionaire aboutit à une hideuse distorsion de la réalité... Marie Calice réveillera-t-elle réellement les Démons de l’Enfer ? Un texte plein de fantaisie et de punch, pour la première participation de la multi-casquetteuse Nelly Chadour.

Marie-Calice, Missionnaire de l’extrême (Nelly Chadour)

— Il nous reste encore des territoires à évangéliser et c’est ici même, dans notre beau pays, qu’une mission nous appelle de toute urgence. Aux frontières de notre plus fidèle département qu’est la Vendée, se presse une horde d’impies, de mécréants et de blasphémateurs qui a oublié la parole du Seigneur.

Telles sont les paroles du Père Ignace tandis que je prépare mon sac et ma tente en vue de la tâche périlleuse qui m’a été confiée.

Je devrais me sentir fière de la confiance accordée par Dieu et Ses humbles représentants. C’est un honneur pour une femme que d’être dépêchée en tant qu’Agent de la Sainte Église sur les lieux d’un rassemblement sataniste. Un grand honneur, mais aussi, une bien pesante charge, me dois-je d’avouer au nom de la noble Vertu Cardinale qu’est l’Humilité. Suis-je de taille à me mesurer à pareille engeance ? Car ils seront plusieurs milliers à éructer comme des bêtes sur ce qu’ils appellent musique. Et je serai seule, comme Sainte Blandine au milieu des lions.

— Laisse-les aboyer, laisse-les te flageller de leurs langues acérées, me souffle le Père Ignace à l’oreille alors que mes mains tremblent. Dusses-tu mourir sur l’autel du combat, sache qu’il n’est pas plus honorable fin pour nous autres, esclaves du Seigneur.

À la veille de mon arrivée au sabbat à ciel ouvert, le doute m’habite et le Père Ignace le sait. Il me faut subir une épreuve de foi afin de me montrer digne de Notre Père. Je dois me préparer spirituellement. Mes hosties, mon goupillon, ma bible et mon crucifix seront mes seuls soutiens. Les prochains jours, exilée en ces terres oubliées de Dieu, il me faudra subir cette musique du chaos et les pécheurs qui l’apprécient.

Ces individus dont le principal plaisir est de s’enivrer à en vomir, montrer la partie la plus charnue de leur immonde anatomie et invoquer Satan par des signes occultes en se plongeant dans la transe infernale induite par ce charivari rédhibitoire...

Je suis partagée entre le dégoût, la peur et la pitié...

— Si tu parviens à sauver une seule de ces âmes, m’a chuchoté le Père Ignace, ta place à la droite du Seigneur est garantie.

Qu’il en soit ainsi. Mon sac est bouclé, ma tente pliée, mes billets de train reposent sur le bureau, il n’y a plus rien d’autre à faire qu’une dernière prière avant d’aller au lit. Demain, je dois me lever tôt pour ne pas croiser mes parents : mon sacerdoce leur est inconnu.

Que le Seigneur me protège.

Dès la gare de Nantes, une horde de ces satanistes a pris d’assaut le TER. Leur accoutrement ne laisse aucun doute quant à leurs convictions contre-nature : des pentagrammes rouge sang, des têtes de mort ricanantes et autres figures méphistophéliques ornent leurs habits noirs ou leur peau.

Ils sont déjà en train de s’enivrer malgré l’heure matinale et font un vacarme de tous les diables durant le quart d’heure de trajet qui me semble ne jamais vouloir finir. Aux hurlements « Libérez l’apéro ! » répondent des cris gutturaux et des rots écœurants.

À ma grande consternation, les autres passagers du train, des gens normaux et fréquentables, ne paraissent guère incommodés par ces débordements bestiaux. Tout au plus lèvent-ils la tête à un hurlement plus sonore. Mais moi, je ne suis pas dupe de la Nature odieuse de leur chahut. En regardant attentivement sans me faire repérer, j’ai bien vu qu’un nuage nauséabond, prenant la forme d’un bouc, s’envolait des bouches à chaque rot.

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