Morgane Caussarieu, auteure du roman fantastique Dans les Veines (Éditions Mnémos, 2012), nous présente ici une maman fantasque et son bébé anormal... Elle dissèque avec subtilité les relations mère/enfant, et nous en montre la monstruosité cachée.
La maman de Martin (Morgane Caussarieu)
Madeleine aurait pu tuer Martin si elle ne l’avait pas déménagé à l’étage en dessous, dans la chambre de la bonne, qui s’était reconvertie en nourrice pour l’occasion. Le gamin était arriéré.
Elle n’arrivait pas à se rentrer dans la tête que c’était son fils, son bébé à elle. Son fils ne pouvait pas être cette petite chose difforme et débile. Si Martin avait été sa chair et son sang, il aurait été un beau bébé précoce, un bébé qu’elle aurait pu exhiber devant ses amies, et non pas cacher dans un coin de sa chambre.
Elle commençait à se dire que le bon Dieu l’avait faite stérile pour une bonne raison...
Ce sale môme avait pris la sale manie de gueuler tous les soirs, c’en était devenu insupportable. Parfois même, il se tapait la tête sur les barreaux du lit jusqu’au sang, et il avait fallu le capitonner pour qu’il ne se blesse plus. Elle n’arrivait plus à dormir la nuit et se réveillait le matin avec une mine livide, des ecchymoses violettes sous les yeux que même son fond de teint ne parvenait plus à cacher. Durant les journées, elle errait comme un zombie effaré, somnolant au volant de sa voiture et tenant le coup seulement grâce aux antidépresseurs qu’elle faisait passer avec un petit verre de Porto.
Au début, elle avait cédé aux caprices du bébé. Elle lui apportait son biberon à des heures indécentes, sans même broncher. Madeleine trouvait même amusant que ce petit être dépende d’elle. Entièrement.
Et puis très vite, c’était devenu l’Enfer.
Le bébé chialait, chialait, n’en finissait plus de chialer, même quand on lui enfournait la tétine dans la bouche. Il ne pleurait plus parce qu’il avait faim, mais pour lui gâcher la vie, pour qu’elle craque. Il se vengeait d’elle, le salaud. Parce qu’elle ne réussissait pas à être la bonne mère qu’elle avait été persuadée de pouvoir être. Mais ça, c’était avant de se confronter aux réalités d’élever un enfant. Un enfant qui n’était pas vraiment le sien, en plus. Elle devait essuyer la merde du mioche d’une autre, d’une petite pétasse acnéique incapable d’assumer.
Un soir, alors que Martin avait été particulièrement bruyant, elle avait tenté de le faire taire en lui enfonçant la tétine du biberon jusqu’au fond de la gorge.
Les pupilles d’encre de l’enfant s’étaient écarquillées de stupeur. Il avait hoqueté, cherchant l’air par son petit nez, et elle avait enfoncé la tétine plus profond encore dans la trachée. Pour qu’il comprenne qu’il fallait cesser de pleurer.
Puis elle avait retiré le biberon. L’enfant avait pris une profonde inspiration et s’était mis à brailler de plus belle.
Elle avait renfoncé la tétine aussi sec. Jusqu’à ce qu’il se calme.
Quand elle l’avait délivré à nouveau, les pleurs avaient recommencé.
Le manège dura, jusqu’à ce que Martin décide de se calmer.
Madeleine était fière d’elle et de sa méthode d’éducation – après tout les enfants n’étaient pas là pour pourrir l’existence de leurs parents et il était temps que Martin le réalise – jusqu’à ce qu’elle aperçoive les volutes de sang se mélangeant à la salive. Ça coulait le long des commissures des lèvres du bébé.
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Fantasía18 textes échappés de l'asile. Les Fous ont la parole ! Folie joyeuse, tragique, douce ou furieuse, folie visionnaire, délirante, compulsive, criminelle ou simplement géniale... Mais aussi : folie qui ouvre sur un autre monde, qui efface les limites...