Les convulsions hallucinées d’une humanité prise d’insomnie généralisée : sur une idée tout simple, un texte puissant et dur.
La nuit où le sommeil s'en est allé (Cyril Amourette)
Première nuit.
Cette nuit-là, personne ne put dormir. Comme si le sommeil avait été une terre inaccessible à tous les êtres humains, sans exception. Alors que la nuit engloutissait les fuseaux horaires, les hommes, les femmes et les enfants étaient restés éveillés. Cette nuit fut la même pour tout le monde : longue, exténuante, sans fin.
Les maisons bruissèrent toute la nuit de murmures et de jérémiades, de rancœurs et de bâillements. Mais point de sommeil pour les malheureux.
Au lendemain de cette nuit blanche universelle, le monde ralentit d’un coup, comme freiné dans son élan. Les hommes et les femmes n’étaient pas habitués – du moins pas encore – à ne pas dormir. Ils étaient groggy, désarçonnés dans leur confort quotidien. Quelque chose avait changé et le monde ne tournait plus rond.
Le lever fut pénible, bien qu’empreint d’une certaine délivrance. Les petits-déjeuners furent maussades, les trajets vers les écoles et les bureaux, périlleux.
Des mesures furent prises pour limiter les catastrophes aériennes, ferroviaires ou nucléaires. Les États étaient encore alertes, prêts à réagir. Cela n’allait pas durer.
Des appels à la radio conseillaient à tous d’éviter de prendre le volant.
Dans la matinée, les services d’urgence des villes furent submergés par les néo-insomniaques effrayés ; les pharmacies furent dévalisées, les somnifères devinrent une denrée rare.
Dans le train de banlieue pour le centre-ville, les mines étaient défaites, les regards lourds. Les titres des journaux étaient éloquents et sans surprise. Je vis un adolescent lutter pour s’endormir. Sa tête dodelinait en tous sens, ses yeux refusaient de se fermer. Étrange spectacle que ce jeune homme se battant pour trouver enfin un peu de repos. Il finit par abandonner, las de ne pas dormir. Plusieurs employés de bureau essayaient tout comme lui de se reposer. Sans succès.
Le train s’arrêta brusquement, faisant crisser ses roues métalliques. Une femme venait de se jeter d’un pont sur les rails. La voix dans les haut-parleurs était fatiguée de devoir annoncer ce genre d’incident.
Les heures de la journée s’écoulèrent tant bien que mal, chacun développant ses propres stratégies pour faire face à la situation. Nous commencions à survivre, à nous adapter.
Il le fallait bien, nous n’étions qu’au commencement d’un long voyage en Enfer.
Deuxième nuit.
Arrivée au soir, l’humanité rejoignit sa chambre avec l’espoir de dormir. Tout simplement. Hélas, la déception s’était glissée entre les draps de son lit.
Il y eut une journée, il y eut un soir : ce fut la deuxième nuit.
Un cauchemar éveillé vécu par des milliards d’insomniaques. Les ombres de la nuit dansant devant des yeux fixes ; les esprits tentant de faire le vide ; les corps s’agitant pour trouver la meilleure position.
Personne, sous aucune latitude, ne put fermer l’œil de la nuit.
Souvenez-vous de votre dernière nuit blanche. Alors que vous étiez un étudiant endurant, et passablement alcoolique ; que vous réconfortiez votre nourrisson implorant ; que vous tentiez de trouver le sommeil dans la salle d’attente d’un aéroport international, sur d’inconfortables fauteuils en plastique noir. Souvenez-vous de cette nuit sans sommeil, cette nuit que vous avez cru être la plus longue de votre existence. Imaginez maintenant qu’une deuxième nuit blanche lui succède. Que le repos tant attendu n’arrive jamais. Plus jamais.
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Folie(s)
Fantasy18 textes échappés de l'asile. Les Fous ont la parole ! Folie joyeuse, tragique, douce ou furieuse, folie visionnaire, délirante, compulsive, criminelle ou simplement géniale... Mais aussi : folie qui ouvre sur un autre monde, qui efface les limites...