La folie a-t-elle besoin de la normalité, ou est-ce la normalité qui a besoin de la folie ? Comment la société organise-t-elle la folie, en fait un spectacle, la canalise, la normalise, la rend désirable ? Autant de questions impertinentes élaborées dans ce texte acide, effrayant et cocasse. Par le Président de l’association, précédent auteur de De terre et de sang, Crises tentaculaires (Fin(s) du Monde) et τρ (Sales Bêtes !).
C15 (Herr Mad Doktor)
Une chronique de Jonathan Bresson
pour L’Aède
(Numéro spécial New York)
Note de la rédaction :
Le présent article exprime le point de vue de son auteur et en aucune manière celui du magazine L’Aède, de la société ALW ou du groupe Écho-Presse.
Notes de l’auteur :
Afin de préserver leur anonymat, les noms et les caractéristiques des protagonistes ont été modifiés.
Les mots suivis d’un astérisque (*) ont été originellement prononcés en français.
C15 est un acronyme et se prononce à l’anglaise : C-one-five.
***
« Ce qui arrive durant le C15 reste au C15. »
Proverbe New-Yorkais.
« Si tu veux cacher quelque chose, cache-le dans l’œil du soleil. »
Proverbe Égyptien.
Dès la sortie de l’aéroport JFK, les vendeurs à la sauvette (uniquement des Blacks et des Latinos) me sautent dessus :« Indispensable pour le C15, M’sieur. Un beau modèle, elle fait chronomètre et compte à rebours ! » ; « Pour ne pas perdre le cours des quinze minutes les plus importantes de votre vie ! » ; « Ten quarters for a quarter, Sir ! ». Le long des avant-bras, chacun arbore une vingtaine de montres imitation or ou argent, aussi clinquantes que contrefaites, qu’ils me remuent sous le nez dans un bruit de quincaillerie.
« Ils ont repéré que tu étais un touriste » me glisse Christin, ma correspondante locale. Nous autres New-Yorkais n’avons pas besoin de ce genre de gadget pour savoir précisément où nous en sommes. Le quart d’heure fait intimement partie de nous, il est intégré à notre rythme intérieur (pour être exact, Christin emploie le mot vibe). Si tu restes assez longtemps à NYC, tu comprendras ce que je veux dire. C’est une question de feeling. »
La néo-hippie m’aide à me frayer un chemin parmi la foule bigarrée de badauds et de bonimenteurs (« Surveille ton portefeuille », me conseille-t-elle) et hèle l’un des plus célèbres emblèmes de la ville : un taxi jaune, dans lequel je suis ravi de m’engouffrer. Passablement vexé de ne pas être parvenu à passer pour un autochtone, je demande à Christin si j’ai tant une tête de touriste que ça. « Pas tellement. Mais il n’y a qu’un Français pour porter un sac à dos Quechua ! »
***
Tandis que le yellow cab s’enfonce au cœur de la forêt de buildings et d’écrans géants, le globe-trotter que je suis a du mal à cacher son excitation : c’est la première fois que je mets les pieds dans la Big Apple ! Cet excitant voyage n’aurait pu être possible sans l’aide providentielle de Christin. « Je t’en prie*, balaie-t-elle d’un sourire alors que je me confonds en remerciements. Entre collègues, il est normal de se serrer les coudes. » Le budget alloué par mon employeur étant pour le moins anémique, j’ai en effet dû me débrouiller par mes propres moyens pour trouver un point de chute. Des connaissances communes m’ont mis en relation avec Christin, journaliste indépendante, qui dès nos premiers échanges s’est montrée enthousiasmée par mon projet :« Observer comment le C15 s’inscrit dans la vie des New-Yorkais, déterminer comment il influence leur quotidien plutôt que traquer le scoop croustillant et le spectaculaire à tout prix... My gosh, ça change du voyeurisme habituel ! » Très aimablement, elle a accepté de m’héberger durant le mois que durerait ma mission, et a spontanément proposé de me servir de guide. « Mine de rien, je finis par avoir une certaine expérience en la matière : il y a quatre mois, j’ai accueilli un collègue italien, et l’an passé un Sud-Coréen – celui-là, je crois qu’il ne se remettra jamais du choc culturel... »

VOUS LISEZ
Folie(s)
Fantasi18 textes échappés de l'asile. Les Fous ont la parole ! Folie joyeuse, tragique, douce ou furieuse, folie visionnaire, délirante, compulsive, criminelle ou simplement géniale... Mais aussi : folie qui ouvre sur un autre monde, qui efface les limites...