7 décembre - Jimin

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Séoul
Le 7 décembre 2020

Ah, je crois que c'est au moins ma dixième tentative de lettre...

Je vais me permettre d'être totalement honnête avec toi, Jungkook, cette lettre, je n'ai pas envie de l'écrire. Ça me crame les doigts, ça me donne mal au crâne. Mais j'y suis, penché sur mon bureau, foutu stylo qui tremble au-dessus de cette stupide feuille que j'ai déjà envie de froisser. Y a des soirs comme ça où rien ne va. Je crois que tu le sais, toi aussi. Parce que des soirs, des journées, des heures, où rien n'allait, on en a vécu un tas ensemble, pas vrai ? Depuis quelque temps, j'essaye de me remémorer les bons moments. Ceux où on se contentait d'être amis, sans que rien d'autre ne plane au-dessus de notre tête que cette jolie vérité. 

Amis. Je le souligne parce que c'est un mot important, pour moi. Plus que pour toi, ou pour le reste de la bande, j'imagine. Ça prend beaucoup de place dans ma vie. Et cette place que ça prend, cette importance que je lui donne, ç'a sans doute tendance à me bouffer un peu, même si c'est progressivement. C'est avec toi que je le ressens le plus, je n'ai plus aucun doute là-dessus. Et ce n'est pas entièrement de ta faute, moi aussi j'y ai ma part de responsabilité. Je le sais. Je le sais depuis le début. Et de notre rencontre à aujourd'hui, j'ai toujours su que jamais je ne pourrais être totalement satisfait de ce que j'arrive à obtenir de toi. Mais on est à égalité, pas vrai ? Tu ne veux pas autant de moi, j'en veux plus de toi. Au fond, on a jamais réussi à donner à l'autre ce dont il avait réellement besoin. C'est triste, dit comme ça, tu ne trouves pas ? Parce que l'amitié, ça ne devrait pas être ainsi. Ça ne devrait pas devenir aussi douloureux. 

Parfois, quand arrive la fin de la journée et que, malgré tous mes efforts, je ne trouve plus rien à faire pour occuper mon pauvre esprit, je repense à ce jour-là. Ça n'aurait pas dû se passer comme ça. Peut-être que c'était comme une grosse rupture. C'était plus que je ne pouvais en supporter et toi... Toi, t'étais là, toujours avec cette façon que t'as toujours eu de me mettre à l'écart de ce que tu ressens. Je n'ai pas pu l'accepter. Je n'arrêtais pas de me dire que le problème, c'était moi et parce que j'étais moi, parce que j'étais Jimin, tu refusais de me parler, de te confier. C'est horrible, comme sensation. Ce jour-là, je me suis senti comme en train de dévaler dix étages d'un coup. Les dix étages qui me séparaient de ma limite, sans doute. Et cette limite, fallait que tu la voies toi aussi, que tu la distingues, que tu la ressentes. Je me souviens de ton regard quand j'ai soudainement balancé que si ç'avait été Minha à ma place, tu te serais sans doute confié plus facilement. Peut-être que toi tu te souviens du mien quand tu m'as déballé que je prenais trop de place, que ça t'étouffait. J'imagine que ça t'a fait du bien de me le dire. Mais même si j'avais déjà conscience que ça te pesait, ces mots sortis de ta bouche m'ont fait l'effet d'une bombe. Ils me poursuivent encore, je n'arrive plus à m'en défaire. 

Souvent, je me souviens de notre toute première rencontre, au collège. Tu semblais si fragile et si inaccessible. J'étais encore un peu maladroit, parce qu'à ce moment-là, je ne me souvenais plus très bien ce que c'était que de se faire des amis. J'ai essayé pendant longtemps de fuir toutes formes de liens amicaux, pour me protéger et peut-être pour protéger les autres aussi, en me disant qu'au moins, plus personne ne serait obligé de souffrir. Mais c'était avant de rencontrer Hoseok et sa ténacité. J'ignore ce qu'il a su voir en moi, mais toujours est-il qu'il a fini par se faire une place. Ce qui est drôle pour toi, c'est que tu n'as même pas eu besoin de prononcer un seul mot que j'avais déjà décidé que tu serais mon ami. Et à l'heure des remises en question, je me demande parfois si tu étais d'accord avec ça ou si tu t'es juste laissé porté. Nous n'étions que des gosses après tout. Tout cela remonte à si longtemps et pourtant, je revois très nettement toutes ces journées passées à traîner ensemble. Parfois, j'aimerais remonter le temps. Parce que c'était insouciant. Parce que je prenais ce que tu me donnais sans me poser de question, sans me demander si c'était assez, si ça me suffisait, si je serais capable de m'en satisfaire pour toujours. Toutes ces questions qui aujourd'hui ne cessent de me hanter.

Maintenant, j'aimerais que tu te représentes une maison, Jungkook. Je me fiche de l'allure qu'elle a, juste quatre murs, un toit, une porte. Cette maison, c'est moi. Au début, il n'y avait personne d'autre, puis Hoseok y est entré, suivi de très près par toi, puis de tous les autres. Mais depuis quelque temps, j'ai l'impression d'y crier dans le vide. Tu es parti le premier, parce que tu suffoquais à l'intérieur. Puis j'ai foutu Taehyung à la porte, sans le faire exprès, parce qu'il est intervenu trop tôt, parce que ma dispute avec toi était trop fraîche, parce que mes mots ont dépassé ma pensée. Hoseok t'a naturellement suivi, ou alors j'ai fait en sorte qu'il te suive, c'est encore flou. Yoongi-hyung, lui, a tout emporté et, comme toujours, c'est comme s'il n'avait finalement jamais été là. Reste Namjoon et Seokjin-hyung, qui parfois apparaissent, dans l'entrebâillement de la porte, ou par une fenêtre laissée ouverte. C'est réconfortant mais souvent trop rapide. Et il y a moi, qui déteste cette maison vide, l'écho est affreux, je peux m'y entendre respirer, je n'ai plus rien à y faire, plus rien à arranger. J'ai l'impression que tout est déjà fichu et que tout le monde s'en fout. 

J'imagine que pour toi, cette lettre n'a aucun sens. Et peut-être qu'elle n'en a aucun. Je ne l'écris pas pour arranger ce qui a manifestement été brisé, je ne l'écris pas pour te réconforter et je l'écris encore moins pour me faire pardonner. Si tu veux toute la vérité, je ne sais pas pourquoi je gratte tous ces mots sur cette feuille. Peut-être qu'au fond, j'avais besoin que tu saches. Ce que je ressens, ce que j'ai l'habitude de cacher. Moi aussi, il m'arrive de souffrir. Et j'ai souffert, Jungkook. J'ai souffert de toutes les absences de Yoongi, sans exception. J'ai souffert du manque de soutien de Hoseok. J'ai souffert de tous ces moments où mon amitié semblait te prendre à la gorge, de tous ces instants où, bêtement, je pensais enfin t'avoir atteint. Au fond, je crois que si je n'ai jamais réussi à aimer totalement Minha, c'est seulement parce qu'elle a réussi là où j'ai toujours échoué : t'atteindre. Pour de vrai, je veux dire.

Ce qui me fait le plus mal aujourd'hui, c'est de me rendre compte que le mot ami, celui que je chéris tant, celui pour lequel je donne tant, n'a, dans l'état, plus beaucoup de signification. Parce qu'en tant qu'ami, j'ai échoué tant de fois et toi, tu me donnes l'impression d'être la fois de trop.

Il faut que je termine cette lettre, maintenant. Parce que j'en ai assez dit, parce que ce n'est sans doute pas utile d'en écrire plus.

Dans ta lettre, tu dis que je suis parti et ce soir, je l'écris ici : je n'ai pas bougé. Je suis toujours au même endroit et j'imagine que je n'ai pas la force d'en partir. Tout semble si vide malgré mes efforts pour tout combler et, oui, peut être que tu as raison, tout est si pourpre depuis maintenant si longtemps.

Jimin. 

 

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